Quel effet l’éfavirenz aurait-il sur le cerveau?

Les chercheurs ne peuvent préciser pourquoi l’éfavirenz ou les composés qui se créent lors de sa métabolisation dans l’organisme nuisent au cerveau. En partie, cette incertitude persiste parce que l’effet que l’éfavirenz exercerait sur le cerveau, du moins sur le plan moléculaire, est contesté par certains chercheurs.

Il n’empêche que des indices de l’interaction particulière entre l’éfavirenz et les cellules cérébrales commencent à émerger des expériences de laboratoire sur des cellules et des animaux. Nous présentons ici les résultats de certaines d’entre elles. En attendant que cette information soit confirmée par des études menées chez des humains, elle devrait être considérée comme préliminaire.

Le lien benzo

Le Valium et les médicaments chimiquement apparentés appartiennent à une classe de médicaments couramment appelés benzodiazépines (benzos). Pour sa part, l’éfavirenz appartient à la classe de médicaments anti-VIH appelés analogues non nucléosidiques. Ces derniers ont une forme quelque peu semblable à celle des benzos. La forme en question constitue un avantage car elle permet aux benzos, et à l’éfavirenz, de pénétrer dans le cerveau.

La capacité à pénétrer dans le cerveau est importante parce que cet organe est visité par des cellules immunitaires qui risquent d’être infectées par le VIH. Autrement dit, le cerveau peut servir de réservoir ou de sanctuaire au VIH. Utilisé comme composant d’une combinaison anti-VIH, l’éfavirenz peut aider à réduire la quantité de VIH dans le sang et le cerveau.

Tous les analogues nucléosidiques ne provoquent pas les mêmes effets secondaires. Mentionnons, à titre d’exemple, que les autres analogues nucléosidiques névirapine (Viramune), rilpivirine (Edurant) et étravirine (Intelence) ne causent pas le même degré d’effets secondaires neuropsychiatriques que l’éfavirenz, même s’ils sont capables de pénétrer dans le cerveau et d’y causer des effets secondaires.

Cannabinoïdes

Plusieurs des produits chimiques naturels qui donnent à la marijuana son effet sur le cerveau s’appellent cannabinoïdes. Ces produits chimiques stimulent les récepteurs de cannabinoïdes de l’organisme. L’éfavirenz et les composés créés par sa métabolisation peuvent également stimuler les récepteurs de cannabinoïdes. Les indices de cet effet sont indirects, comme suit :

  • Des cas ont été rapportés où des personnes recevant l’éfavirenz ont reçu un faux positif lors d’un test de dépistage de la marijuana.
  • Des études de laboratoire sur des cellules cancéreuses portent à croire que l’éfavirenz interagit avec celles-ci par l’intermédiaire des récepteurs de cannabinoïdes.

LSD

Récemment, des chercheurs au Texas ont effectué des expériences de laboratoire poussées sur des rats dans le but de déceler chez ces animaux d’éventuels récepteurs sur lesquels l’éfavirenz pourrait exercer un effet. Les chercheurs ont trouvé que l’éfavirenz pouvait stimuler les récepteurs ciblés par plusieurs substances lors de leur entrée dans le cerveau, dont les suivants :

  • médicaments analogues au Valium
  • barbituriques
  • cocaïne
  • LSD (acide)
  • méthamphétamine

Soulignons, toutefois, que l’éfavirenz n’a pas causé de dépendance lors de ces expériences utilisant des rats. Ce résultat laisse croire que les effets de l’éfavirenz sont quelque peu différents de ceux des substances testées.

Même si l’éfavirenz peut stimuler les récepteurs utilisés par plusieurs substances, au moins chez les rats, les chercheurs texans ont découvert que le principal effet du médicament sur le comportement des rats se produisait par l’intermédiaire d’un récepteur appelé 5-HT2A. Ce dernier est le même récepteur utilisé par le LSD et les composés apparentés. L’équipe texane a remarqué que les rats se comportaient de façon semblable lorsqu’ils recevaient de l’éfavirenz ou du LSD. Les chercheurs se doutaient que cette interaction entre l’éfavirenz et le récepteur 5-HT2A était partiellement responsable de quelques effets secondaires signalés par les patients recevant l’éfavirenz, tels que les hallucinations, la psychose, les flashbacks et les cauchemars.

Abus

Selon un récent rapport signé par des chercheurs sud-africains, il semble probable que certains utilisateurs de drogues écrasent des comprimés d’éfavirenz et les ajoutent à d’autres substances pour créer un mélange à fumer pour se geler.

Cellules cérébrales

Des chercheurs en Espagne ont mené des expériences de laboratoire sur l’éfavirenz et des cellules cérébrales d’humains et de rats. Dans certains cas, ils ont constaté que l’éfavirenz empêchait le bon fonctionnement des parties des cellules responsables de la génération d’énergie, soit les mitochondries. En effet, il paraît que l’éfavirenz a endommagé des cellules cérébrales lors d’expériences de laboratoire. Les chercheurs estiment que cet effet de l’éfavirenz pourrait aider à expliquer certains des effets secondaires neuropsychiatriques signalés.

Points à retenir

Pour le moment, tous les résultats de recherche que nous venons de présenter ne sont que cela. Les chercheurs n’ont pas été en mesure de prouver que les mécanismes moléculaires dont nous avons parlé sont bel et bien la source des problèmes liés à l’éfavirenz qu’éprouvent certaines personnes.

Les médecins ont constaté que l’éfavirenz peut être très utile dans les traitements d’association contre le VIH lorsqu’il est donné aux patients appropriés. Toutefois, plus tôt cet été, un trio de chercheurs chevronnés du Canada, de la France et du Royaume-Uni ont revu des données cliniques sur l’éfavirenz. En raison d’une combinaison de facteurs — les effets secondaires, la moindre efficacité globale comparativement aux nouveaux médicaments, les préoccupations concernant le risque d’anomalies congénitales et la présence de VIH résistant à l’éfavirenz — ces chercheurs ont laissé entendre qu’il était temps de remettre en question « l’usage routinier de l’éfavirenz » dans les pays à revenu élevé.

Comme de nombreuses options de traitement contre le VIH sont maintenant disponibles au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, il sera intéressant de voir si l’éfavirenz sera encore largement utilisé dans cinq ans.

—Sean R. Hosein

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