Espérance de vie prolongée pour les personnes séropositives en Amérique du Nord

Des études d'envergure menées principalement en Europe occidentale, aux États-Unis et en Australie ont révélé que les combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelées multithérapies ou TAR) amélioraient grandement la santé des personnes vivant avec le VIH. Au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, les infections liées au VIH sont rares chez les personnes recevant des soins et une multithérapie. Par conséquent, les chercheurs s’attendent de plus en plus à ce qu’un jeune adulte qui contracte le VIH aujourd'hui et qui commence rapidement une multithérapie et qui prend ses médicaments tous les jours en suivant les prescriptions à la lettre et qui n'a pas de problèmes de santé coexistants non traités — tels qu'une dépendance à la drogue/alcool, la dépression, la schizophrénie ou la co-infection au virus de l'hépatite C — vivra probablement plusieurs décennies.

Jusqu'à récemment, aucune analyse de l'espérance de vie d’un grand nombre de personnes vivant avec le VIH n'avait été faite au Canada ou aux États-Unis. Or un consortium de chercheurs de partout sur le continent a réuni dernièrement des données de santé recueillies auprès de personnes séropositives et analysé leur espérance de vie. Les chercheurs ont constaté que l'espérance de vie globale des personnes séropositives augmentait depuis une décennie et approchait de celle des personnes séronégatives. Toutefois, tous les groupes importants touchés par le VIH ne connaissent pas la même espérance de vie. Dans ce bulletin, nous expliquons de quels groupes il s'agit et proposons quelques raisons des différences observées.

Détails de l'étude

Des chercheurs affiliés à la base de données NA-ACCORD de partout en Amérique du Nord ont analysé des données de santé se rapportant à 22 937 participants qui avaient commencé une multithérapie entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2007.

Le profil moyen des participants était le suivant :

  • 77 % d'hommes, 23 % de femmes

Voici la répartition des participants selon le groupe d'âge :

  • 20 à 34 ans – 25 %
  • 35 à 44 ans – 42 %
  • 45 à 54 ans – 25 %
  • Plus de 55 ans – 8 %

Voies d'infection

  • partage de matériel d'injection de drogues (UDI) – 20 %
  • relations sexuelles non protégées entre hommes (HARSAH) – 39 %
  • autres voies de transmission non spécifiées – 41 %

Race/ethnie

  • personnes de couleur – 62 %
  • personnes de race blanche – 38 %

Compte de CD4+ au moment de l'introduction de la multithérapie :

  • moins de 350 cellules – 72 %
  • 350 cellules ou plus – 28 %

Résultats — dans l'ensemble

Un total de 1 622 personnes sont mortes au cours de l'étude; aucun détail concernant les causes de décès n'a été fourni.

De façon générale, les taux de décès étaient les plus élevés parmi les groupes présentant les caractéristiques suivantes :

  • antécédents d'injection de drogues
  • personnes de couleur
  • personnes ayant commencé la multithérapie avec un compte de CD4+ de 350 ou moins

Espérance de vie – les chiffres

Compte tenu de son analyse, l'équipe de recherche a prédit que l'espérance de vie d'une personne de 20 ans vivant aux États-Unis ou au Canada qui commençait une multithérapie peu de temps après sa séroconversion était de 70 ans environ. Précisons toutefois que ce chiffre n'est qu'une moyenne et que certains groupes pourraient connaître une espérance de vie plus courte ou plus longue. Nous indiquons ci-dessous l'espérance de vie estimée d'une personne qui avait 20 ans en 2009 en fonction de son appartenance à différents groupes, en commençant par les personnes séronégatives à titre de comparaison. Des explications possibles de ces résultats sont proposées après la liste de chiffres :

  • hommes séronégatifs au Canada – 80 ans
  • hommes séronégatifs aux États-Unis – 77 ans
  • femmes séronégatives au Canada – 84 ans
  • femmes séronégatives aux États-Unis – 82 ans

Sexe

  • hommes séropositifs – 62 ans
  • femmes séropositives – 64 ans

Voie d'infection

  • UDI – 49 ans
  • HARSAH – 77 ans
  • autres groupes à risque – 70 ans

Race/ethnie

  • personnes de couleur – 58 ans
  • personnes de race blanche – 72 ans

Compte de CD4+ lors de l'introduction de la multithérapie

  • moins de 350 cellules – 59 ans
  • 350 cellules ou plus – 75 ans

Il est pertinent de comparer ces espérances de vie à celles de l'époque d'avant la multithérapie, alors que les personnes séropositives dans les pays à revenu élevé vivaient en moyenne de 10 à 12 ans après le diagnostic.

Raisons des différences :

Les femmes

Dans l'ensemble, l'espérance de vie des femmes séropositives figurant dans cette étude était inférieure à celle des HARSAH et des femmes séronégatives. Les chercheurs ont avancé plusieurs explications possibles pour ces résultats. Entre autres, il est possible que « les femmes se fassent soigner lors d'un stade plus avancé de l'infection que [certains] hommes ». Notons aussi que cette étude avait recruté un grand nombre de femmes qui utilisaient ou avaient utilisé des drogues injectables (UDI). En général, les personnes qui s’injectent des drogues survivent moins longtemps que les non-UDI, sans égard au statut VIH. De plus, il est possible que les femmes inscrites à cette étude aient moins d'éducation, un revenu plus faible et plus de difficulté à interagir avec le système de santé que les HARSAH séropositifs figurant dans l'étude. Elles risquent aussi d'avoir connu plus de stigmatisation sociale et d'isolement que les HARSAH.

Les chercheurs n'ont pas mentionné les nombreux rôles que les femmes doivent souvent endosser, comme s'occuper des enfants et d'autres membres de la famille, veiller au fonctionnement du ménage et travailler à l'extérieur de la maison. En raison de ces multiples rôles, les femmes se voient parfois obligées de prioriser les besoins des autres et n'ont pas assez de temps pour s'occuper d'elles-mêmes. Il est possible que tous ces facteurs aient eu un impact sur l'état de santé global et la survie des femmes figurant dans cette étude.

Les personnes qui s'injectent des drogues

Selon l'équipe de recherche, il est probable que les facteurs suivants ont joué un rôle dans l'espérance de vie plus courte des personnes qui s’injectent des drogues inscrites à cette étude :

  • présence de comorbidités comme le virus de l'hépatite C (VHC)
  • difficulté à prendre la multithérapie tous les jours en suivant la posologie à la lettre
  • effet déstabilisant de la consommation active de drogues
  • précarité du logement
  • faible revenu

Race/ethnie

Selon l'équipe de recherche, les différences entre l'espérance de vie des personnes de couleur et celle des personnes de race blanche pourraient refléter l'impact de nombreux facteurs, tels que « les conditions socio-économiques sous-jacentes, l'accès aux soins et l'absence d'assurance maladie… »  Au début de l'étude, l'écart entre l'espérance de vie des deux groupes raciaux était énorme, soit 23 ans, mais il a diminué vers la fin de la période de l'étude pour se situer à neuf ans.

Compte de CD4+ au début de la multithérapie

Les résultats de cette étude constituent un appui aux recommandations des principales lignes directrices canadiennes et américaines, à savoir que les personnes séropositives devraient commencer une multithérapie aussitôt que possible, peu importe leur compte de CD4+.

Limitations et forces

Il est possible que les chercheurs aient sous-estimé l'impact des progrès récents ou futurs de la technologie, des soins et de la médecine qui pourraient prolonger l'espérance de vie des personnes séropositives.

Il est également possible que les problèmes de santé liés à l'âge surviennent plus rapidement à l'avenir chez les personnes séropositives que chez les personnes séronégatives. Par conséquent, l'espérance de vie des personnes vivant avec le VIH pourrait stagner ou même diminuer. 

Les chercheurs n'ont pas été en mesure de suivre chaque participant de l'âge de 20 ans à plus de 70 ans. Cette limitation est raisonnable puisque la multithérapie n'existe que depuis 1996 dans la plupart des pays à revenu élevé. Toutefois, il existe d'autres bases de données qui suivent l'état de santé de personnes séropositives ayant commencé la multithérapie en 1996 (soit seulement quatre ans avant le début de la présente étude). Ces autres études ont permis de constater des tendances largement semblables à celles de l'analyse NA-ACCORD. Les chercheurs responsables de la présente étude ont employé une méthodologie semblable à celle utilisée pour estimer l'espérance de vie moyenne des personnes séronégatives, alors on peut en conclure que les résultats sont raisonnables et fondés sur des tendances qui se poursuivent.

Bienfaits des soins réguliers

Il est important de garder à l’esprit que, comparativement aux personnes séronégatives, de nombreuses personnes séropositives au Canada et dans les pays semblables font l'objet d'un suivi médical assez rigoureux — elles sont évaluées en clinique et passent des tests de laboratoire plusieurs fois par année. Grâce à ce haut niveau de surveillance médicale, on a de bonnes chances de détecter les complications dès un stade précoce, avant qu'elles puissent s'aggraver. Voilà un autre facteur qui pourrait contribuer à accroître l'espérance de vie des personnes séropositives.

Dans la prochaine section, nous explorons les tendances de la survie chez les personnes séropositives vivant dans les pays dotés de systèmes de santé semblables à celui du Canada, ainsi que les enjeux que l'on doit aborder pour aider à prolonger la survie.

—Sean R. Hosein

RÉFÉRENCE :

Samji H, Cescon A, Hogg RS, et al. Closing the Gap: Increases in life expectancy among treated HIV-positive individuals in the United States and Canada. PLoS One. 2013 Dec 18;8(12):e81355.