Vieillissement, VIH et effets possibles des analogues nucléosidiques

Dans les pays et régions à revenu élevé comme le Canada, l'Australie, les États-Unis et l'Europe occidentale, le traitement de l'infection au VIH a connu des progrès énormes. De plus en plus, les chercheurs estiment que les jeunes personnes diagnostiquées aujourd'hui qui commencent un traitement combiné puissant contre le VIH (couramment appelé multithérapie ou TAR) et qui ne sont atteintes que d'affections co-existantes minimes devraient s'attendre à vivre plusieurs décennies.

Il existe un grand nombre de combinaisons de médicaments anti-VIH pour le traitement initial de cette infection. De plus, la prise de médicaments est devenue plus simple grâce à l'introduction des co-formulations; il s'agit de renfermer plusieurs médicaments dans une seule pilule et de créer ainsi un régime complet dans un seul comprimé. On prend les régimes à comprimé unique de ce genre une seule fois par jour, mais cela n'a pas toujours été le cas.

Regard sur le passé

Lorsqu'il a vu le jour vers la fin des années 1980, le premier traitement de l'infection au VIH consistait en un seul médicament appelé AZT (zidovudine, Retrovir), un inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse (analogue nucléosidique) administré en doses fortes toutes les quatre heures. Ce traitement causait fréquemment des maux de tête, de la nausée, des vomissements et endommageait la moelle osseuse.

Au début des années 1990, d'autres médicaments anti-VIH de la même classe sont arrivés sur la scène, dont les suivants :

  • ddC (zalcitabine, Hivid)
  • ddI (didanosine, Videx)
  • d4T (stavudine, Zerit)

Dans un premier temps, ces trois médicaments que l'on surnommait couramment les médicaments « d » semblaient être mieux tolérés, mais leurs effets secondaires n'ont pas tardé à se manifester, notamment la neuropathie périphérique (nerfs douloureux dans les mains, les pieds et les jambes). On ne fabrique plus le ddC, et les lignes directrices des pays à revenu élevé découragent maintenant l'usage du d4T et du ddI.

En 1996, une nouvelle classe de médicaments anti-VIH a vu le jour : les inhibiteurs de la protéase (IP). Lorsque ceux-ci étaient utilisés en combinaison avec des analogues nucléosidiques, les résultats étaient spectaculaires. Pour la première fois dans l'histoire de la pandémie du sida, des personnes se rétablissaient de manière durable d'infections liées au sida.

Toutefois, peu de temps après l'introduction de la multithérapie, on a commencé à faire état d'un syndrome étrange caractérisé par des changements morphologiques dont certains étaient attribuables à la perte de la couche de graisse située juste en dessous de la peau. Dénommée lipoatrophie, cette perte de graisse sous-cutanée touchait toutes les régions du corps, mais son effet sur le visage causait souvent le plus de détresse.

Comme les IP étaient la nouvelle classe de médicaments anti-VIH, on les soupçonnait initialement d'être à l'origine du problème. Quelques années plus tard, cependant, les chercheurs se sont aperçus que l'exposition au d4T et, dans une moindre mesure à l'AZT, était liée à la lipoatrophie. De nos jours, le d4T et l'AZT ne sont pas généralement recommandés pour les traitements anti-VIH de première intention dans les pays à revenu élevé.

Les analogues nucléosidiques aujourd'hui

À l'époque actuelle, les analogues nucléosidiques demeurent la colonne vertébrale de nombreux régimes anti-VIH. Les analogues nucléosidiques couramment utilisés de nos jours incluent les combinaisons suivantes :

  • abacavir + 3TC – vendus sous forme de co-formulation à dosages fixes appelée Kivexa (ou Epzicom) et aussi présents dans le Trizivir
  • ténofovir + FTC – vendus sous forme de co-formulation à dosages fixes appelée Truvada et aussi présents dans d'autres combinaisons comme l'Atripla, le Complera et le Stribild

Méfiance résiduelle

Choisir le moment de commencer un traitement contre l'infection au VIH constitue depuis toujours un défi de taille. Médecins et patients pèsent les risques contre les bienfaits tout en cherchant à établir l'aptitude de ceux-ci à prendre leurs médicaments en suivant les prescriptions à la lettre pendant de nombreuses années. À l'heure actuelle, grâce à l'introduction de thérapies plus sûres et plus simples et aux résultats favorables provenant des essais cliniques, le rapport risques/bienfaits penche décidément en faveur de l'instauration très précoce du traitement. Dans la version la plus récente des lignes directrices thérapeutiques en matière de VIH/sida du Department of Health and Human Services (DHHS) des États-Unis, on recommande de commencer tôt le traitement pour toutes les personnes séropositives pour les deux raisons suivantes :

  • En ce qui concerne l'individu, le traitement précoce peut aider à préserver le système immunitaire et à améliorer la santé.
  • Du point de vue de la santé publique, traiter les personnes séropositives permet de réduire la quantité de VIH dans le sang, les autres tissus et les liquides corporels, dont les liquides génitaux, ce qui permet de réduire l'infectiosité sexuelle. Grâce à cette infectiosité diminuée, l'usage répandu de la multithérapie peut aider à réduire le nombre de nouveaux cas de transmission du VIH à l'échelle d'un grand centre urbain ou région. Certains donnent à cette approche consistant à traiter les gens pour réduire leur infectiosité le nom de « traitement comme outil de prévention » (TcoP).

Même si le Kivexa et le Truvada sont généralement tolérables et sûrs, certaines personnes séropositives et leurs médecins se méfient encore quelque peu des analogues nucléosidiques à cause de leur histoire douteuse et se posent des questions sur les risques éventuels de nouveaux effets secondaires inconnus. Cette préoccupation prend de l'importance à mesure que les personnes séropositives vieillissent et qu'elles ont besoin de prendre davantage de médicaments, car cela augmente le risque d'interactions médicamenteuses et d'effets secondaires.

Des recherches récentes soulèvent la possibilité que les analogues nucléosidiques nuisent aux parties des cellules responsables de la production d'énergie, soit les mitochondries. Toutefois, on n'a prouvé l'existence d'aucun lien entre les analogues nucléosidiques en usage au début d’un traitement aujourd'hui et la présence de dommages mitochondriaux directement associés au mauvais état de santé de personnes sous multithérapie.

Vieillissement et VIH

Certains chercheurs ont remarqué des indices de l'accélération apparente du vieillissement chez des personnes vivant avec le VIH. Spécifiquement, certains systèmes organiques semblent avoir vieilli plus rapidement que normalement, notamment le cerveau, le cœur, les vaisseaux sanguins et les os.

La cause de cet apparent vieillissement accéléré n'est pas claire.

Si le vieillissement prématuré ou accéléré existe en effet dans le contexte de l'infection au VIH, il pourrait y avoir plusieurs causes potentielles touchant différentes personnes, dont les suivantes :

  • exposition à long terme à des protéines spécifiques produites par les cellules infectées par le VIH
  • taux d'inflammation plus élevé que la normale, phénomène qui s'observe en présence d'infections chroniques virales comme le VIH
  • utilisation de drogues ou d’alcool
  • tabagisme
  • co-infection par d'autres germes, dont les virus de la famille des herpès — CMV (cytomégalovirus) et VEB (virus Epstein-Barr)

Système immunitaire et vieillissement

En l'absence de traitement, plusieurs équipes de recherche ont constaté que l'infection au VIH provoquait effectivement le vieillissement du système immunitaire. Le virus exerce cet effet en causant fréquemment l'activation du système immunitaire et, par conséquent, une inflammation. Le VIH semble également causer des changements complexes et mal compris dans le système immunitaire peu de temps après son entrée dans le corps.

La multithérapie réduit considérablement l'inflammation liée au VIH, mais ne peut l'éliminer complètement. L'exposition prolongée à des niveaux d'inflammation élevés est associée à de nombreuses maladies chroniques, et il est possible que l'inflammation à long terme joue un rôle dans le vieillissement accéléré de certains participants séropositifs que l'on a observé lors des études. Il est toutefois important de se rappeler que les comportements malsains — notamment le tabagisme — provoquent aussi de l'inflammation. Faire la part de toutes les causes possibles du vieillissement accéléré des personnes séropositives ne sera pas chose facile; de nombreuses études seront nécessaires, dont plusieurs coûteront très cher et seront d'une très grande complexité.

Appel à la prudence

Une équipe de recherche australienne a exploré la théorie voulant que les analogues nucléosidiques contribuent d'une manière ou d'une autre à l'accélération apparente du vieillissement des personnes séropositives. Son travail, qui consistait en expériences de laboratoire complexes sur des cellules extraites de personnes séronégatives et séropositives, soulève la possibilité que le médicament ténofovir (Viread) ait pour effet d'accélérer le vieillissement du système immunitaire. Nous encourageons pourtant nos lecteurs à interpréter ce constat avec beaucoup de prudence, ne serait-ce que parce que les expériences australiennes n'ont pas donné de résultats définitifs. De plus, compte tenu des limitations inhérentes à la conception de l'étude (il s'agissait d'une étude transversale), des questions demeurent en suspens quant à la signification des résultats. Dans la prochaine section, nous abordons quelques questions soulevées par cette étude australienne.

—Sean R. Hosein

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