La recherche d’un remède curatif

Depuis plusieurs années, des chercheurs au Canada, aux États-Unis, en Europe occidentale et en Australie intensifient leurs efforts pour déterminer comment on pourrait guérir l’infection au VIH. Certains de ces efforts ont pris la forme d’expériences en laboratoire sur des cellules et le VIH, alors que d’autres études ont porté sur des personnes séropositives. Le mouvement vers la guérison s’inspire de l’expérience réussie menée auprès du patient berlinois Timothy Brown (parfois appelé « le patient de Berlin »). Chez ce dernier, l’infection au VIH a été guérie à la suite de deux greffes de cellules souches dotées d’une résistance naturelle à l’infection par le VIH, ainsi que de plusieurs cycles de chimiothérapie et de radiothérapie intensives et parfois dangereuses.

Les tentatives répétées de guérir d’autres personnes séropositives en utilisant des régimes semblables n’ont pas réussi. Cependant, les chercheurs sont en train de planifier de nombreuses autres approches expérimentales différentes qu’ils mettront à l’épreuve chez des singes infectés par le VIS (virus de l’immunodéficience simienne, un proche parent du VIH qui cause une maladie ressemblant au sida chez des singes vulnérables), ainsi que chez des personnes atteintes du VIH. La vaste majorité des expériences sur des humains se dérouleront aux États-Unis.

Dans la recherche d’un remède curatif pour le VIH, de nombreuses approches sont à l’étude, dont les suivantes : combinaisons de médicaments qui tentent de chasser le VIH de ses cachettes;  anticorps qui aident à capturer le VIH; médicaments et vaccins qui renforcent la capacité du système immunitaire de détecter et de détruire les cellules infectées par le VIH. Sont également en cours aux États-Unis de nombreux essais cliniques qui tentent de guérir le VIH par la thérapie génique.

Des communiqués de presse aux nouvelles

Il est important de souligner que le milieu de financement des recherches biomédicales est devenu beaucoup plus compétitif au cours des dernières années. Dans les grandes agences qui allouent des fonds pour la recherche, seulement 20 % ou moins des demandes de financement soumises sont examinées en profondeur et acceptées. Cela veut dire qu’un grand nombre d’idées prometteuses ne reçoivent pas de financement. Face à ce milieu très compétitif, les équipes de recherche font de plus en plus appel au service des relations médiatiques de leur université afin de faire publier des communiqués de presse au sujet de leur travail. Cela aide les chercheurs à se faire remarquer par les médias et, dans les cas rares où la chance leur sourit, à se faire accorder une entrevue. Les chercheurs espèrent sans doute que cette publicité suscitera de l’intérêt pour leur travail et leur permettra d’obtenir des fonds additionnels à l’avenir. Ces communiqués de presse simplifient les progrès scientifiques accomplis et sont parfois republiés dans les sites Web médiatiques sous forme de « nouvelles »; souvent, ces dernières sont  modifiées en cours de route par des personnes qui ne comprennent pas complètement la matière en question. Dans certains cas dans le passé, des médias ont mal compris les communiqués de presse ou les propos tenus lors d’une entrevue et ont déclaré que le VIH était guéri ou que l’arrivée du remède curatif était imminente, alors que cela n’était pas le cas.

Virus caché

Dans le passé, nombre de médias sont arrivés à la conclusion erronée que le VIH était guéri parce que des chercheurs se consacrant à la recherche d’un remède curatif ont révélé qu’ils avaient été incapables de détecter du VIH dans le sang des participants aux essais cliniques. Un tel résultat n’est pas remarquable, cependant, parce que seulement 2 % environ des cellules CD4+ se trouvent dans le sang; la vaste majorité de ces cellules se trouve dans le tissu et les ganglions lymphatiques dispersés partout dans le corps, et plus particulièrement autour du tractus gastro-intestinal. De plus, le VIH se loge principalement dans les cellules du système immunitaire situées dans ces tissus et ganglions lymphatiques. Ainsi, l’incapacité de trouver du VIH dans le sang ne veut pas dire que le virus ait été purgé du corps ou que les personnes en question soient guéries.

Les essais cliniques sur la guérison du VIH utilisent des techniques et tests imparfaits pour essayer de détecter du VIH résiduel dans le corps des participants. Dans presque tous les cas où des chercheurs ont déclaré initialement qu’ils avaient été incapables de trouver du VIH, le virus est subséquemment devenu détectable après que les participants ont cessé de prendre leur TAR pendant plusieurs mois ou années. Les chercheurs ne connaissent pas tous les tissus et genres de cellules dans lesquels le VIH peut continuer de vivre après des cycles intensifs de traitements expérimentaux visant la guérison. Ils ne peuvent pas tester chaque petit morceau de tissu ou de ganglion lymphatique, ni chaque fragment de tissu délicat et important comme le cerveau, les ovaires ou les testicules, autant d’endroits où le VIH pourrait se cacher en faible quantité. Voilà pourquoi les interruptions de traitement supervisées sont nécessaires à la recherche sur la guérison. Pour les chercheurs, la seule manière de déterminer avec certitude l’efficacité d’un remède curatif potentiel consiste à prendre le risque de priver les participants de leur combinaison de médicaments anti-VIH puissants (TAR) afin qu’ils puissent voir si le VIH redevient détectable dans leurs échantillons de sang. Pour cette raison, les participants aux recherches sur la guérison doivent être suivis, parfois intensivement, pendant plusieurs mois ou années.

Dans les résultats publiés à ce jour, on a presque toujours fini par détecter de nouveau le VIH après le retrait du TAR, à l’exception du patient de Berlin. Compte tenu de la technologie actuellement disponible, ces résultats laissent croire que les chercheurs ne savent pas avec certitude où le VIH se cache dans le corps malgré tous les efforts visant à purger le virus. Par conséquent, faute de percée importante au cours des 10 prochaines années, il est peu probable que les chercheurs réussissent à produire un remède curatif qui soit sûr, peu coûteux et efficace chez un grand nombre de personnes.

Changer les objectifs

Malgré les obstacles, il reste une possibilité prometteuse à souligner : à l’avenir, les chercheurs pourraient mettre au point un traitement expérimental qui réduira tellement la quantité de VIH chez les personnes sous TAR et la maintiendra ainsi pour un temps — peut-être des semaines, des mois ou mieux encore des années — que ces personnes n’auront plus besoin d’utiliser le TAR, conserveront un système immunitaire sain et ne courront aucun risque de transmettre le VIH. Les chercheurs décrivent un tel objectif comme une « guérison fonctionnelle ».

Point à retenir

Un grand nombre des médicaments et/ou traitements qui ont été ou qui seront utilisés dans les essais cliniques qui tentent de guérir le VIH sont expérimentaux; il est donc possible qu’ils ne soient pas approuvés pour les utilisations de routine et qu’ils aient des toxicités. Les médicaments et techniques qui semblent prometteurs pour la recherche sur la guérison aujourd’hui pourraient ne pas le sembler dans quelques années et seront peut-être exclus des essais cliniques à mesure que les chercheurs tenteront de trouver un médicament ou une combinaison de médicaments plus efficace.

Apprendre des avancées de la recherche sur le cancer

Autrefois, les avancées en matière d’immunologie étaient dirigées par les chercheurs travaillant dans le domaine du VIH dans les années 1980 et jusqu’au milieu des années 1990. De nos jours, l’enthousiasme suscité par les découvertes en immunologie provient de la recherche sur le cancer. Dans ce domaine, les chercheurs ont découvert quelques-unes des façons dont les tumeurs réussissent à déjouer le système immunitaire. Pour contrer l’action des tumeurs, les chercheurs déploient un nombre croissant de protéines, notamment des anticorps spécialement conçus qui bloquent des molécules essentielles (appelées points de contrôle) situées sur les cellules immunitaires. Agissant comme inhibiteurs des points de contrôle, ces anticorps activent le système immunitaire afin qu’il combatte les tumeurs. Lors de certains essais cliniques, les inhibiteurs des points de contrôle ont contribué énormément à prolonger la survie de certaines personnes séronégatives atteintes de cancer.

S’inspirant des découvertes dans le domaine de l’immunologie du cancer, les chercheurs s’intéressant au VIH prévoient mener des expériences de laboratoire sur des cellules infectées par le VIH, des singes infectés par le VIS et, dans certains cas, des personnes infectées par le VIH, afin d’évaluer l’efficacité de l’usage intermittent d’inhibiteurs des points de contrôle. Il est à noter que les compagnies pharmaceutiques ont fixé des prix extrêmement élevés pour les inhibiteurs des points de contrôle (près de 15 000 $CDN par personne par mois pour le traitement du cancer). De plus, comme ces traitements peuvent causer des effets secondaires intenses et complexes, il est probable que les expériences sur des personnes atteintes du VIH progresseront lentement et auprès d’un faible nombre de participants.

Une autre innovation provenant du domaine du cancer consiste à créer des cellules T qui sont programmées pour s’attaquer aux tumeurs. Cette technique fonctionne comme suit : les chercheurs filtrent le sang d’une personne atteinte de cancer afin d’en extraire des cellules T. Ensuite, grâce au génie génétique, on fait en sorte que ces cellules produisent un récepteur qui leur permet de se consacrer uniquement à l’attaque d’une tumeur spécifique. On appelle les récepteurs en question des récepteurs d’antigènes chimériques (CAR). Des chercheurs œuvrant dans le domaine du VIH prévoient concevoir des expériences où les cellules T de personnes séropositives pourront être transformées par génie génétique de sorte à produire un récepteur qui leur permettra de cibler et d’attaquer les cellules infectées par le VIH.

Retour à l’argent

Depuis la crise financière de 2008 et 2009, la croissance économique a ralenti dans plusieurs pays occidentaux. Dans certains cas, la crise a donné lieu à une réduction ou à des augmentations minimes des fonds généraux alloués à la recherche, comparativement à l’époque qui a précédé la récession. Pour obtenir des fonds destinés à la recherche, les scientifiques qui triment dur dans les laboratoires dans l’espoir de guérir le VIH doivent maintenant rivaliser avec des chercheurs qui tentent d’abolir d’autres maladies infectieuses, notamment les virus (ré)émergents Ébola, Chikungunya et Zika et les microbes résistants aux médicaments. Tous ces facteurs portent à croire que le financement général de la recherche sur le VIH ne va pas augmenter de façon importante. Par conséquent, le progrès vers la guérison du VIH nécessitera une combinaison de travail acharné et de temps additionnel. Face aux échéances prolongées qui seront sans doute nécessaires à la recherche sur la guérison, les agences de financement devront faire preuve de patience à l’égard des chercheurs et continuer de les soutenir pendant les nombreuses années dont ils auront besoin pour créer un remède curatif sûr, efficace, abordable et largement accessible.

Dans ce numéro

Plusieurs des traitements qui sont à l’étude dans l’espoir de réussir la guérison fonctionnelle du VIH sont expérimentaux. Cependant, certaines expériences en lien avec la guérison ont recours à des médicaments déjà approuvés pour un usage différent. Par exemple, une étude sur la guérison en cours aux États-Unis est en train de tester un médicament approuvé pour le traitement d’affections intestinales inflammatoires comme la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse chez les personnes séropositives. L’étude de ce médicament pourrait aboutir à la guérison ou pas, mais comme il est déjà approuvé pour le traitement d’autres maladies, il est probable que les essais cliniques sur la guérison du VIH progresseront plus rapidement que les études sur des médicaments expérimentaux. Nous reparlons de cette possibilité passionnante plus loin dans ce numéro de TraitementActualités.

—Sean R. Hosein

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