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Grâce au renforcement du système immunitaire et à la réduction de la quantité de VIH dans le sang au-dessous du seuil de détection (un niveau décrit comme « indétectable »), les combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelées TAR) offrent plusieurs avantages, dont les suivants :

  • La TAR peut réduire énormément le risque d’infections liées au sida.
  • La TAR peut augmenter l’espérance de vie de certaines personnes, de sorte que celle-ci devient presque normale.
  • La TAR peut réduire considérablement le risque de transmission sexuelle du VIH.

La TAR a cependant des inconvénients, dont les suivants :

  • Elle ne guérit pas l’infection au VIH.
  • On doit la prendre au moins une fois par jour pour le reste de sa vie.
  • Certains régimes causent des effets secondaires.

Appel à la prudence

Nombre d’études ont révélé que l’interruption de la TAR était chargée de risques. La quantité de VIH peut augmenter rapidement, et le système immunitaire peut faiblir de nouveau lorsque le traitement est interrompu. De plus, lors d’un grand essai clinique bien conçu portant le nom de SMART, l’interruption du traitement a augmenté le risque de complications liées à l’inflammation, ainsi que le risque d’infections et de mortalité.

La suppression du VIH sans TAR est-elle possible?

Les chercheurs ont trouvé que la suppression du VIH se maintenait sans médicaments chez certaines populations, dont les suivantes :

  • Les prétendus « contrôleurs d’élite » : les chercheurs ont défini ce groupe comme les personnes dont la charge virale reste indétectable dans le sang (moins de 50 copies/ml) sans l’utilisation d’une TAR. De telles personnes sont rares et représentent moins de 1 % de toutes les personnes atteintes du VIH.
  • Les contrôleurs post-traitement : Les personnes dans ce groupe ont commencé une TAR très peu de temps après l’infection initiale puis l’ont interrompue plus tard. Malgré l’interruption du traitement, leur système immunitaire semble être en mesure de maintenir la suppression du VIH. Les contrôleurs post-traitement sont un groupe peu nombreux.
  • Il existe aussi des rapports faisant état de quelques cas de suppression temporaire du VIH dans le sang sans médicaments; les exemples incluent deux adultes ayant subi une greffe de moelle osseuse dans le cadre de tentatives de guérir l’infection au VIH et un bébé traité peu de temps après l’infection (le « bébé du Mississippi »).

Les chercheurs qui ont étudié en profondeur les groupes et les cas ci-dessus sont incapables d’expliquer pourquoi cette suppression virologique inattendue s’est produite ou de prévoir pourquoi et quand la suppression pourrait cesser subséquemment. Il reste que ces groupes et ces cas ont un point en commun : les tests de laboratoire portent à croire que la quantité de cellules infectées par le VIH dans le corps de ces personnes est relativement faible, comparativement à la personne séropositive moyenne sous TAR. Les chercheurs appellent ce fardeau de cellules infectées dans le corps le réservoir.

Nécessité d’approches multiples et simultanées

Dans une tentative d’induire une période de rémission du VIH sans TAR, des équipes de recherche prévoient mener des expériences auprès de personnes séropositives suivant une TAR dont le réservoir de cellules infectées par le VIH est relativement petit. Les expériences en question consisteront probablement à administrer des combinaisons d’agents dans l’espoir de rehausser la capacité du système immunitaire à tuer les cellules infectées par le VIH et à réduire le volume du réservoir. Il existe de nombreuses options qui pourraient servir à ces expériences, y compris les suivantes : des vaccins pour stimuler l’immunité contre le VIH; des médicaments pour rehausser la capacité du système immunitaire à reconnaître et à tuer les cellules infectées par le VIH; des greffes de moelle osseuse et des thérapies géniques. À l’avenir, les chercheurs pourraient juger utile de tenter des interruptions du traitement pour évaluer la capacité du système immunitaire à supprimer le VIH, mais seulement après avoir mis en œuvre des stratégies comme celles mentionnées ci-dessus.

Ultrastop

Des chercheurs de France ont mené une expérience auprès d’un nombre limité de personnes séropositives rigoureusement sélectionnées sans avoir recours aux interventions potentielles mentionnées ci-dessus. Tous les participants avaient commencé une TAR relativement tôt dans le cours de l’infection au VIH et avaient une charge virale sanguine inférieure à 50 copies/ml et un compte de CD4+ supérieur à 500 cellules/mm3. De plus, le nombre de cellules infectées par le VIH dans leur réservoir était inhabituellement faible.

Après l’interruption du traitement, la charge virale a rebondi chez la plupart des participants en moins de quatre semaines. Cependant, chez un participant, la charge virale est restée faible, soit moins de 400 copies/ml, pendant à peu près un an après l’interruption de la TAR. Malgré les nombreux tests effectués sur des échantillons de son VIH et son système immunitaire, les chercheurs français demeurent consternés et incapables d’expliquer la suppression continue du VIH dans le sang de cet homme.

L’un des résultats importants de l’étude Ultrastop réside dans le fait que, malgré la sélection très rigoureuse des participants (en fonction de nombreux facteurs, dont leurs antécédents immunologiques, virologiques et thérapeutiques et l’évaluation de leur réservoir de VIH), l’interruption de la TAR a été suivie d’une période limitée de suppression virologique chez 90 % des participants. Les résultats de l’étude Ultrastop portent à croire que, toute seule, l’interruption du traitement pourrait ne pas être une façon utile d’aider les personnes séropositives à supprimer le VIH.

Détails d’étude

Les chercheurs ont sélectionné les participants pour cette étude avec beaucoup de soin. En plus d’effectuer des analyses de sang complexes, l’équipe a examiné les antécédents médicaux des participants et leur a fait subir une évaluation psychologique afin de s’assurer qu’ils étaient capables de participer à une étude de cette nature qui nécessiterait des visites fréquentes au laboratoire.

Les chercheurs ont fait état des résultats obtenus auprès de 10 participants dont le profil moyen au début de l’étude était le suivant :

  • âge : 42 ans
  • sept hommes, trois femmes
  • période écoulée depuis le diagnostic de VIH : six ans
  • nombre d’années de l’infection au VIH où la charge virale était inférieure à 50 copies/ml : cinq ans
  • compte de CD4+ le plus faible depuis toujours : 495 cellules/mm3
  • compte de CD4+ : 1 118 cellules/mm3
  • compte de CD8+ : 566 cellules/mm3
  • rapport CD4/CD8 : 2,1

À l’aide d’une épreuve ultrasensible, les techniciens ont déterminé que tous les participants avaient une charge virale inférieure à 20 copies/ml un mois avant l’étude. De plus, ils avaient tous un très faible nombre de cellules infectées par le VIH dans leur sang, ce qui suggère la présence d’un réservoir plus petit que d’ordinaire.

Résultats : accent sur les neuf participants dont la charge virale a rebondi

Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans ce rapport, la plupart des participants ont vu leur charge virale grimper et entrer nettement dans la zone détectable dans les quatre semaines suivant l’interruption de la TAR. Les résultats présentés ci-dessous en ce qui concerne la charge virale, le réservoir de VIH, les cellules T, l’innocuité et d’autres questions se rapportent spécifiquement à neuf participants dont le système immunitaire n’a pas été en mesure de supprimer le VIH après l’interruption de la TAR.

Charge virale

En moyenne, la première charge virale détectable a été de 2 125 copies/ml. Un deuxième test de la charge virale effectué une semaine plus tard (pour confirmer qu’elle était détectable) a révélé que la charge virale moyenne avait grimpé jusqu’à  7 213 copies/ml.

Réservoir viral

Comme la charge virale augmentait, il était clair que davantage de cellules immunitaires se faisaient infecter et que le réservoir prenait de l’ampleur. Pour confirmer ce changement, les chercheurs ont évalué le réservoir. Au début de l’étude, le réservoir comptait moins de 66 copies d’ADN VIH par million de cellules sanguines, selon les estimations. Toutefois, après l’interruption du traitement, le fardeau de cellules infectées par le VIH a augmenté et le réservoir contenait 106 copies d’ADN VIH par million de cellules sanguines. Cette augmentation du volume du réservoir est significative du point de vue statistique, c’est-à-dire non attribuable au seul hasard.

Changements dans les cellules T

Chose peu surprenante étant donné les nombreux changements négatifs qui se produisaient, les comptes de CD4+ ont commencé à chuter rapidement, la baisse moyenne initiale étant de 124 cellules/mm3. De plus, on a constaté qu’une proportion plus élevée de cellules immunitaires s’enflammaient et devenaient actives, ce qui marquait un autre changement significatif du point de vue statistique.

Innocuité

Aucun effet secondaire grave ne s’est produit pendant l’étude après l’interruption de la TAR; il est possible que ce résultat soit partiellement attribuable aux comptes de CD4+ généralement élevés des participants (et au fait qu’ils n’avaient jamais chuté à un faible niveau avant l’amorce de la TAR), ainsi qu’à la durée relativement courte de l’interruption. Les effets indésirables couramment signalés après l’interruption étaient généralement d’intensité légère ou modérée et incluaient les suivants :

  • maux de tête
  • muscles douloureux ou sensibles
  • diarrhées
  • ganglions lymphatiques enflés

En général, les charges virales ont baissé rapidement lorsque les participants ont recommencé leur traitement. Quatre semaines après la reprise du traitement, huit participants sur neuf avaient une charge virale inférieure à 50 copies/ml.

Les événements suivants se sont produits 24 semaines après la reprise de la TAR :

  • Des tests de la charge virale ultrasensibles ont révélé que sept participants sur huit avaient une charge virale inférieure à 1 copie/ml.
  • En moyenne, le fardeau de cellules infectées par le VIH dans le sang (le réservoir) a diminué et se situait de nouveau au niveau d’avant l’interruption.
  • Le compte de CD4+ moyen était de 823 cellules/mm3 (près de 300 cellules de moins qu’au début de l’étude).

Un cas particulier

Les chercheurs ne savent pas avec certitude pourquoi une personne a réussi à maintenir une charge virale relativement faible pendant 56 semaines malgré l’interruption de sa TAR (les chercheurs le suivent encore). Le résultat de son plus récent test de la charge virale a été de 282 copies/ml. L’examen des antécédents médicaux du participant d’avant son inscription à l’étude a révélé que sa charge virale la plus élevée depuis toujours avait été légèrement supérieure à 3 000 copies/ml. Son compte de CD4+ le plus faible (avant de commencer la TAR) avait été de 566 cellules/mm3. Trois ans avant son inscription à l’étude Ultrastop, une analyse de ses échantillons de sang avait révélé que sa charge virale se situait régulièrement à moins de 20 copies/ml.

Ce participant ne semble pas avoir de gènes associés à une vulnérabilité réduite au VIH.

Malgré des analyses exhaustives, les chercheurs ont été incapables d’expliquer l’absence de réplication du VIH dans le sang de cet homme pendant qu’il ne prenait pas de médicaments anti-VIH.

Points à considérer

1. Nos lecteurs devraient se rappeler que les participants à cette étude ont été sélectionnés avec beaucoup de soin. En effet, pour que leur inclusion dans l’Ultrastop soit envisagée, les volontaires pressentis devaient avoir un nombre extrêmement faible de cellules infectées par le VIH (on parle ici du réservoir) dans leur sang, soit une quantité inférieure au seuil de détection. Dans l’étude française, cela voulait dire moins de 66 copies d’ADN VIH par million de cellules sanguines. Les chercheurs ont décrit une si faible quantité comme un « événement rare ». De plus, notons que les volontaires avaient commencé leur TAR lorsque leur compte de CD4+ se situait à près de 500 cellules/mm3, et leur charge virale prétraitement avait été relativement faible. Étant donné la rigueur de ces critères de sélection, notons que la personne séropositive moyenne n’aurait pas été admissible à cette étude.

2. Même si l’on croyait que les participants choisis pour cette étude avaient les meilleures chances de connaître une rémission prolongée du VIH sans médicaments, la durée réelle de celle-ci s’est révélée remarquablement courte, soit un mois environ. L’équipe française a souligné que la courte durée de la période précédant le rebond de la charge virale chez la plupart des participants rappelait les résultats obtenus il y a environ 15 ans lorsque l’interruption du traitement a été sérieusement évaluée pour la première fois.

3. L’épreuve utilisée pour évaluer le nombre de cellules infectées par le VIH avait une limite de détection inférieure de 66 copies d’ADN VIH par million de cellules sanguines. Les tests utilisés à l’heure actuelle dans les laboratoires de recherche pour évaluer le volume du réservoir de VIH sont imparfaits et sous-estiment probablement son vrai volume. L’usage de ce genre de tests est dans une grande mesure réservé aux laboratoires de recherche et à certaines études qui éprouvent des thérapies potentielles contre l’infection au VIH. Il n’empêche que plusieurs équipes de recherche travaillent à la mise au point de méthodes plus précises pour évaluer le réservoir de VIH.

4. Les résultats de l’étude Ultrastop portent à croire que l’interruption de la TAR, comme seule intervention visant à induire une rémission du VIH sans médicaments, a sans doute peu de chances d’être adoptée à grande échelle à l’avenir. Les chercheurs français ont fait preuve de beaucoup de rigueur dans leur sélection et n’ont choisi que des participants dont le profil biomédical laissait espérer la possibilité d’une rémission prolongée sans médicaments. Mais cela ne s’est pas produit.

5. Les chercheurs français n’ont pas fourni de données d’analyses des ganglions et tissus lymphatiques. Rappelons que la majorité des cellules (lymphocytes) que le VIH infecte (98 %) se trouve dans les ganglions lymphatiques et les tissus apparentés. Il s’ensuit donc que le VIH aussi se loge principalement dans ces parties du corps. De plus, des chercheurs américains ont trouvé que, même lorsque la charge virale dans le sang est indétectable grâce à la TAR, on peut encore observer le VIH infecter des cellules dans les ganglions lymphatiques. Espérons qu’à l’avenir les chercheurs évalueront ces compartiments lorsqu’ils mèneront des recherches sur la rémission du VIH sans médicaments.

Vers l’avenir

Il est probable que l’interruption de la TAR sera incluse dans certaines études futures où l’on tentera de guérir le VIH ou d’induire une période de rémission sans médicaments chez des personnes sous TAR. Les études en question devront trouver des moyens de rehausser la capacité du système immunitaire à détecter et à tuer les cellules infectées par le VIH et à réduire le volume du réservoir de VIH. Il faudra que de telles mesures soient prises avant que les chercheurs envisagent de nouveau l’interruption du traitement.

D’autres équipes de recherche travaillent à des méthodes destinées à mieux prévoir quelles personnes séropositives seraient susceptibles d’éprouver un rebond virologique à la suite de l’interruption de la TAR.

De nombreuses études passionnantes sont à l’horizon. Certaines d’entre elles porteront sur les greffes de moelle osseuse, les médicaments conçus pour réduire le réservoir de VIH et renforcer le système immunitaire et les thérapies géniques. Il est important que des personnes séropositives se portent volontaires pour ces études. Ce faisant, elles aideront considérablement les chercheurs à comprendre les conséquences complexes de l’infection au VIH et à perfectionner les approches visant la rémission du VIH sans TAR, voire la guérison.

Sean R. Hosein

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