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CATIE

Comme le VIH et le virus de l’hépatite C (VHC) ont des voies de transmission communes, la co-infection par ces deux virus est relativement courante. L’infection chronique au VHC cause des dommages au foie et agit de sorte que cet organe vital finit par devenir dysfonctionnel. De graves complications peuvent se produire à cause de l’infection au VHC, y compris la mort.

Nombre d’études ont permis de constater que les personnes qui prennent une combinaison de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelée TAR) pour réduire la quantité de VIH dans leur sang jusqu’à un très faible niveau peuvent généralement ralentir l’endommagement du foie causé par le VHC.

Il est nécessaire de mener des études à long terme sur la TAR moderne pour évaluer l’innocuité des médicaments donnés aux personnes co-infectées. Pour déterminer l’impact potentiel de la TAR sur la vitesse de progression des dommages subis par le foie, les chercheurs responsables de la Cohorte canadienne de co-infection (CCC) ont analysé des informations se rapportant à la santé de plus de 300 participants figurant dans leur base de données. Les chercheurs ont trouvé que certains régimes de TAR comportant les médicaments anti-VIH abacavir et 3TC (vendus en co-formulation sous forme d’un seul comprimé appelé Kivexa au Canada et dans l'Union européenne, et Epzicom aux États-Unis) étaient associés à une augmentation des résultats de tests sanguins laissant soupçonner l’accélération des dommages hépatiques. Les chercheurs se doutent que l’abacavir est le médicament responsable dans cette situation. Nous parlons des implications de ce résultat plus loin dans ce bulletin de Nouvelles CATIE, mais nous présentons d’abord quelques renseignements contextuels.

À propos de la CCC

Jusqu’en octobre 2015, l’étude de la CCC a recruté 1 498 participants dans 18 sites situés un peu partout au Canada, dont 72 % d’hommes, 27 % de femmes et 1 % de personnes transgenres. Tous les participants ont à la fois le VIH et le VHC et sont suivis régulièrement par les chercheurs.

Co-infection, VHC et évaluation des dommages au foie

L’infection chronique au VHC cause de l’inflammation dans le foie pendant que le système immunitaire tente de débarrasser l’organe du virus. L’inflammation qui résulte de ce combat entre le système immunitaire et le VHC provoque des dommages au foie. Au fil du temps, les cellules saines du foie sont remplacées par du tissu cicatriciel inutile. Si l’infection au VHC n’est pas traitée, l’état du foie se détériore, entraînant la dysfonction hépatique, une réduction de la qualité de vie, de graves complications, des infections et la mort. L’infection chronique au VHC augmente aussi le risque de cancer du foie.

De nombreux facteurs peuvent accélérer le rythme de la cicatrisation du foie. L’inflammation en est un. L’infection au VIH cause une inflammation prononcée qui provoque la dégradation de nombreux organes, y compris le foie. La TAR réduit considérablement la quantité de VIH dans le sang. À mesure que la quantité de VIH baisse, l’inflammation liée au VIH diminue aussi. Par conséquent, dans les cas de co-infection VIH/VHC, la TAR peut ralentir la cicatrisation du foie. Il est également important de traiter l’infection au VHC.

Historiquement, l’évaluation de la santé du foie et de l’ampleur de la cicatrisation de cet organe reposait sur une biopsie hépatique, soit le prélèvement d’un minuscule fragment du foie à des fins d’analyse. Cependant, une autre méthode d’évaluation du foie a vu le jour au cours de la dernière décennie. À l’aide d’une échographie spécialisée appelée Fibroscan, les médecins peuvent maintenant obtenir une idée généralement fiable de l’ampleur de la cicatrisation présente dans le foie. De plus, depuis une décennie, les médecins constatent que, dans de nombreux cas, une équation fondée sur les résultats de certains tests sanguins leur permet de déterminer si la cicatrisation du foie s’aggrave. L’équation en question s’appelle l’indice du rapport AST/plaquettes (APRI), et on nomme le résultat le score APRI. L’augmentation du score APRI est très révélatrice de la présence de graves dommages au foie. Pour obtenir le score APRI, il faut effectuer une prise de sang afin de déterminer le taux de l’enzyme hépatique AST et la numération plaquettaire.

Détails de l’étude

Les chercheurs de la CCC ont fouillé dans leur base de données afin de choisir des participants qui prenaient l’une des classes de médicaments anti-VIH suivantes dans le cadre de leur régime : les inhibiteurs de la protéase ou les analogues non nucléosidiques.

La classe des inhibiteurs de la protéase inclut les médicaments suivants :

  • atazanavir (Reyataz)
  • darunavir (Prezista et dans Prezcobix)
  • ritonavir (Norvir et dans Kaletra)
  • lopinavir + ritonavir (Kaletra)

La classe des analogues nucléosidiques inclut les médicaments suivants :

  • éfavirenz (Sustiva, Stocrin et dans Atripla)
  • étravirine (Intelence)
  • névirapine (Viramune)
  • rilpivirine (Edurant et dans Complera)

Les chercheurs ont également pris note des analogues nucléosidiques que les participants utilisaient. Il s’agissait habituellement des combinaisons suivantes :

  • ténofovir + FTC (combinaison vendue sous le nom de Truvada et présente aussi dans Atripla et Complera)
  • abacavir + 3TC (combinaison vendue sous le nom de Kivexa et présente aussi dans Triumeq et Trizivir)

Les chercheurs ont sélectionné 314 participants qui prenaient seulement les analogues nucléosidiques mentionnés ci-dessus avec soit un inhibiteur de la protéase soit un analogue non nucléosidique.

Lors de leur analyse, pour réduire le risque d’une interprétation faussée des résultats, les chercheurs ont pris en compte de nombreux facteurs qui auraient pu influencer leur analyse, y compris les suivants :

  • âge
  • sexe
  • durée de l’infection au VHC
  • utilisation de drogues injectables ou non par les participants
  • compte de CD4+
  • charge virale en VIH inférieure à 50 copies/ml ou non

Les chercheurs ont également tenu compte du fait que la vaste majorité des participants qui utilisaient un analogue non nucléosidique prenaient Atripla (éfavirenz + ténofovir + FTC).

Ensuite, les chercheurs ont jumelé les données recueillies auprès de chaque participant suivant un régime à base d'inhibiteur de la protéase à celles collectées auprès d’une autre personne co-infectée qui recevait un régime à base d'analogue non nucléosidique, et vice versa.

Regroupant toutes ces données, les chercheurs ont créé un modèle mathématique pour explorer les liens éventuels avec l’accélération des dommages hépatiques.

Résultats

abacavir + 3TC

Lorsque les chercheurs ont tenu compte de la durée de l’utilisation d’analogues nucléosidiques par les participants, ils ont trouvé que « les taux de changements dans les scores APRI semblaient être attribuables [à l’usage de l’abacavir + 3TC] ». En moyenne, les chercheurs ont constaté que, parmi les personnes qui prenaient la combinaison abacavir + 3TC et au moins un inhibiteur de la protéase,  les scores APRI ont augmenté de 16 % sur une période de cinq ans. Lorsque la combinaison abacavir + 3TC était utilisée avec un analogue non nucléosidique, les scores APRI ont augmenté de 11 % en moyenne en cinq ans. Ces augmentations sont significatives du point de vue statistique, c’est-à-dire non attribuables au seul hasard.

ténofovir + FTC

Parmi les participants recevant la combinaison ténofovir + FTC et un inhibiteur de la protéase, les scores APRI ont augmenté de 8 % sur une période de cinq ans. Chez les participants qui utilisaient ces médicaments avec un analogue non nucléosidique, les scores APRI ont augmenté de 3 % en moyenne au cours de cinq ans. Ces changements dans les scores APRI parmi les participants recevant la combinaison ténofovir + FTC ne sont pas significatifs du point de vue statistique.

Points à retenir

1. Ce rapport de la CCC est probablement le premier à explorer le taux de fibrose chez les personnes co-infectées par le VIH et le VHC, ainsi que la façon dont certains régimes de la TAR influencent la vitesse de la cicatrisation du foie. Les résultats sont intéressants et semblent souligner la nécessité de la prudence lorsque l’abacavir est utilisé (car les chercheurs soupçonnent ce médicament de nuire au foie de certains participants). L’étude comporte de nombreuses forces, notamment sa nature prospective et la représentation inclusive qu’elle propose de la population co-infectée qui reçoit des soins au Canada. (Notons que l’étude incluait des femmes, des Autochtones et des personnes qui s’injectent des drogues.)

Les résultats de cette étude sont pertinents relativement aux études sur la co-infection menées à l’époque actuelle, car aucun participant ne prenait d’analogue nucléosidique reconnu pour sa toxicité générale (il s’agit des médicaments « d »), tels les suivants :

  • ddC (Hivid)
  • d4T (stavudine, Zerit)
  • ddI (didanosine, Videx)

2. L’équipe de recherche de la CCC mérite des louanges pour avoir exploré la question de la fibrose hépatique et de la co-infection. Bien que les chercheurs se soient donné beaucoup de mal pour réduire la possibilité que leurs conclusions soient faussées par inadvertance par un ou plusieurs facteurs, cette possibilité ne peut jamais être complètement écartée. Cette lacune est attribuable à la nature de l’étude, qui est celle d’une étude de cohorte, ce qui veut dire essentiellement une étude par observation. Les études de ce genre sont utiles pour trouver des associations entre un médicament et un événement, mais elles ne peuvent prouver de lien causal. Dans le cas qui nous concerne, l’étude n’a pas pu prouver que l’abacavir accélérait la progression de la fibrose hépatique lorsqu’il était utilisé avec un inhibiteur de la protéase. De plus, les chercheurs reconnaissent librement qu’il est également possible que l’exposition aux inhibiteurs de la protéase eux-mêmes ait accéléré la progression des dommages hépatiques durant l’étude. Malheureusement, la CCC ne possède pas le pouvoir statistique nécessaire pour discerner l’impact des inhibiteurs de la protéase sur la vitesse de progression des dommages au foie. Une étude de bien plus grande envergure sera nécessaire pour explorer l’effet potentiel des inhibiteurs de la protéase à cet égard.

3. Sources potentielles d’interprétations faussées

Il existe plusieurs sources potentielles d’interprétations faussées dans cette étude. Les chercheurs mentionnent que les inhibiteurs de la protéase « sont souvent privilégiés pour les personnes présentant un faible taux d’observance thérapeutique afin de réduire le risque [que le VIH devienne résistant au traitement ] ». La confusion est une possibilité parce que, comme l’affirment les chercheurs, « si davantage d’[utilisateurs d’inhibiteurs de la protéase] avaient une vie instable », cela aurait pu nuire à leur capacité de prendre fidèlement la TAR et les exposer « à des risques potentiels de dommages hépatiques tels que la consommation d’alcool et la réplication incontrôlée [du VIH] ».

4. Pourquoi soupçonner l’abacavir?

L’abacavir est dégradé, ou métabolisé, par le foie. Il est possible que le processus de dégradation de l’abacavir provoque la libération de molécules très réactives ayant le potentiel de causer de la toxicité. Il reste cependant que l’abacavir est un médicament largement prescrit. Les agences de réglementation considèrent l’abacavir comme un ingrédient généralement sûr et efficace des régimes de la TAR lorsqu’il est utilisé conformément aux lignes directrices sur le traitement. Depuis une décennie, il semble que seulement trois cas de dommages hépatiques liés à l’abacavir aient été rapportés dans les revues biomédicales. Dans les trois cas, les personnes en question prenaient la névirapine depuis quelque temps sans avoir connu de problème. Il est à noter que l’utilisation de la névirapine est associée à un risque accru de dommages hépatiques. Quoi qu’il en soit, les rapports publiés faisant état de dommages hépatiques liés à l’abacavir semblent être excessivement rares.

L’autre médicament qui est couramment utilisé avec l’abacavir est le 3TC, qui est considéré comme plutôt sûr par les médecins.

5. Prochaines étapes

Les études de cohorte ou par observation sont un bon point de départ lorsque l’on souhaite explorer une idée ou une théorie. Si une association est découverte lors d’une étude par observation, on doit l’étudier et la comprendre davantage en faisant des tests de laboratoire sur des cellules, des virus et des médicaments et en menant une étude conçue de manière à permettre une analyse statistique plus rigoureuse. Comme une telle étude coûterait cher, il serait peut-être impossible d’en mener une à cette époque d’austérité imposée ou encore faudrait-il de nombreuses années pour réunir les fonds, ce qui prendrait beaucoup de temps pour toutes les personnes concernées. Ainsi, aucune réponse simple n’arrivera bientôt quant à savoir si l’abacavir joue un rôle dans l’accélération des dommages subis par le foie.

Entre-temps, l’équipe de la CCC n’a pas recommandé que les personnes co-infectées évitent l’abacavir. Elle a découvert un signe de préoccupation potentielle, mais cela doit être vérifié dans le cadre d’au moins une autre étude.

L’étude CCC est financée par le Réseau canadien pour les essais VIH, les IRSC et le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS).

Ressources

Remerciements

Nous remercions Marina Klein MD, MSc et Laurence Brunet Ph.D., Université McGill pour leur révision experte et leur aide utile avec cet article.

 —Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Brunet L, Moodie EE, Young J, et al. Progression of liver fibrosis and modern combination antiretroviral therapy regimens in HIV-hepatitis C co-infected persons. Clinical Infectious Diseases. 2015; in press.
  2. Di Filippo E, Ripamonti D, Rizzi M. Abacavir-induced liver toxicity in an HIV-infected patient. AIDS. 2014 Feb 20;28(4):613.
  3. Soni S, Churchill DR, Gilleece Y. Abacavir-induced hepatotoxicity: a report of two cases. AIDS. 2008 Nov 30;22(18):2557-8.
  4. Grilo NM, Charneira C, Pereira SA, et al. Bioactivation to an aldehyde metabolite—possible role in the onset of toxicity induced by the anti-HIV drug abacavir. Toxicology Letters. 2014 Jan 30;224(3):416-23. 
  5. Banasch M, Frank J, Serova K, et al. Impact of antiretroviral treatment on (13) C-methionine metabolism as a marker of hepatic mitochondrial function: a longitudinal study. HIV Medicine. 2011 Jan;12(1):40-5.