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CATIE

Au Canada et dans les autres pays à revenu élevé, la grande accessibilité des puissantes combinaisons de médicaments anti-VIH (couramment appelées thérapies antirétrovirales ou TAR) a donné lieu à une réduction considérable de la mortalité due aux infections liées au sida. La puissance de la TAR est telle que les chercheurs s’attendent de plus en plus à ce que certains des jeunes adultes qui contractent le virus aujourd’hui et commencent sans tarder le traitement aient des chances de vivre jusqu’à l’âge de 80 ans ou plus.

La jeune épidémie d’autrefois

L’un des premiers rapports à relater l’épidémie émergente du VIH a paru en juin 1981 dans un bulletin MMWR (Morbidity and Mortality Weekly Reports) des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis. Le bulletin en question incluait un rapport signé par des médecins californiens qui annonçaient l’apparition mystérieuse d’infections potentiellement mortelles touchant de jeunes hommes jusque-là en bonne santé.

Un mois plus tard, un autre numéro des MMWR faisait état de l’apparition très étrange de lésions cutanées (sarcome de Kaposi ou SK) chez de jeunes hommes, précédemment en bonne santé, vivant en Californie et à New York. Au moment de leur publication, ces rapports ont provoqué un grand désarroi parmi les médecins. Jusqu’alors, les cas de KS étaient très rares dans les pays à revenu élevé et les lésions ne se manifestaient pas en grappes. De plus, avant l’arrivée du sida, les diagnostics de KS concernaient typiquement des hommes âgés d’ascendance méditerranéenne chez lesquels la maladie provoquait généralement des symptômes légers au niveau des pieds ou du bas des jambes. Or, les cas de KS diagnostiqués chez les jeunes hommes mentionnés dans les MMWR et relatés dans d’autres rapports publiés au début des années 80 en Amérique du Nord et en Europe occidentale étaient bien différents. Chez ces hommes, les lésions du KS pouvaient apparaître n’importe où sur le corps et se propager rapidement aux ganglions lymphatiques et aux organes internes. La chimiothérapie était efficace contre les lésions dans certains cas, mais la déficience immunitaire sous-jacente causée par le VIH persistait.

Aujourd’hui et demain

Heureusement, le KS n’est pas aussi courant de nos jours dans les pays à haut revenu qu’il ne l’était au cours des premières années de l’épidémie du VIH. Si la maladie se déclare, le simple recours à la TAR suffit habituellement pour faire régresser les lésions (bien que la régression ait lieu lentement chez certaines personnes). À l’heure actuelle, il est rare qu’on doive ajouter une chimiothérapie à la TAR pour traiter le KS lié au VIH.

Autre changement important survenu dans l'évolution de l’épidémie, c'est que les personnes atteintes du VIH vivent bien plus longtemps de nos jours grâce à la TAR. Voici des exemples tirés de deux pays à revenu élevé :

Suisse

Les chercheurs rapportaient en 1990 que la proportion de personnes séropositives âgées de 50 à 64 ans était inférieure à 3 %. Or en 2010, cette proportion s’élevait à 25 %.

États-Unis

Selon les estimations des CDC, près du tiers des personnes séropositives avaient au moins 51 ans en 2009, mais d'après leurs prévisions, plus de 50 % des personnes vivant avec le VIH auront plus de 50 ans en 2020.

Il est très probable que les tendances observées dans ces deux pays prévalent également dans les autres pays à revenu élevé.

Nouvelles infections

Le vieillissement des personnes vivant depuis longtemps avec le VIH n’est pas le seul phénomène à signaler. Des rapports des CDC indiquent qu’un nombre important de nouveaux cas de VIH se produisent chez des personnes âgées de 50 ans ou plus. Selon les chiffres fournis par l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC), environ 18 % des nouveaux cas de VIH toucheraient les 50 ans et plus au pays.

Besoins des citoyens plus âgés en matière de recherche

L’effet de ces deux tendances — le vieillissement des personnes atteintes depuis longtemps et les nouvelles infections touchant davantage de personnes plus âgées — a son lot d'implications dans le domaine de la recherche. Chez les personnes séronégatives, le vieillissement fait augmenter le risque de complications touchant de nombreux systèmes organiques, y compris maladies cardiovasculaires, dysfonction rénale, diabète de type 2, amincissement des os, etc. Les médecins et les chercheurs désignent ces autres affections médicales sous le nom de comorbidités. Les chercheurs doivent donc étudier les effets conjugués de l’infection au VIH de longue durée et du vieillissement afin d’évaluer leur impact sur la santé et le bien-être généraux des personnes atteintes.

En raison de la survenue de telles comorbidités, les personnes séropositives vont probablement devoir ajouter d’autres médicaments à leur TAR quotidienne. Quand une personne prend de nombreux médicaments pour traiter plusieurs affections médicales, on parle de polypharmacie. Celle-ci peut être un problème dans le cas des personnes âgées pour au moins les raisons suivantes :

  • risque d’interactions médicamenteuses
  • réactions indésirables (et le défi qui consiste à distinguer les effets secondaires des médicaments des réactions liées au processus de vieillissement, au VIH ou à d’autres facteurs)
  • difficulté à organiser ses nombreuses prises de diverses pilules tous les jours

Mentionnons aussi que les reins des personnes âgées ne fonctionnent pas aussi efficacement que chez les jeunes. Par conséquent, il est parfois nécessaire d’ajuster les doses des médicaments des personnes âgées afin de réduire le risque de toxicité. Il est donc possible que les personnes séropositives aient besoin de tels ajustements de doses à mesure qu’elles vieillissent.

Vivre avec de nombreuses affections médicales peut être un fardeau difficile pour les personnes qui s’efforcent de maintenir un haut niveau de fonctionnement malgré les contraintes qu'impose le vieillissement. Ces enjeux et d’autres facteurs liés au vieillissement pourraient avoir un impact sur la santé globale et le bien-être mental et émotionnel des personnes séropositives vieillissantes.

Le vieillissement au programme des chercheurs

Les scientifiques commencent à se pencher sur la complexité du vieillissement dans le contexte du VIH. L’Office of AIDS Research des National Institutes of Health (NIH) des États-Unis a commandé un rapport décrivant les aspects pertinents du VIH et du vieillissement qui méritent d’être étudiés.

Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) sont la principale agence de financement de la recherche scientifique en santé au pays. L’Institut des maladies infectieuses et immunitaires est un département important des IRSC. Ayant désigné le vieillissement chez les séropositifs comme une priorité de son Programme de recherche sur la comorbidité liée au VIH, cet institut a octroyé de nombreuses bourses visant à promouvoir l’étude des différentes facettes de cette question.

Services de santé

À mesure que vieillissent les personnes vivant avec le VIH, il est probable que leurs professionnels de la santé devront adapter les connaissances acquises dans le domaine de la gériatrie pour mieux soigner leurs patients. De façon générale, les patients plus âgés ont des besoins particuliers, comme consulter plus fréquemment leur médecin, se prêter au dépistage des affections touchant couramment cette tranche de la population, se faire diriger vers des soins spécialisés et prendre davantage de médicaments. Les personnes vivant avec le VIH auront probablement les mêmes besoins en vieillissant. Les ministères de la Santé et les planificateurs de politiques dans ce domaine devront commencer à estimer les coûts liés au traitement de la population séropositive vieillissante afin d’assurer le financement suffisant des cliniques communautaires et des hôpitaux de sorte que ces organismes puissent continuer à dispenser des soins de grande qualité.

Dans notre prochain bulletin de Nouvelles CATIE, nous parlerons d’un rapport de chercheurs albertains qui étudient l’épidémie vieillissante du VIH et ses implications au chapitre des coûts de soins de santé.

—Sean R. Hosein

Ressources :

Rapport aux NIH sur le vieillissement et le VIH (en anglais seulement)

Programme de recherche des IRSC sur la comorbidité liée au VIH

Programme de recherche des IRSC sur la comorbidité liée au VIH : secteurs de recherche pertinents

Le VIH et le vieillissement – Conseils sur comment vivre sa séropositivité en santé pour les 50 ans et plus

Le VIH et le vieillissement – Série de webinaires de CATIE : Éléments constitutifs

Feuillets d’information sur le VIH et le vieillissement au Canada – Société canadienne du sida

Evidence-informed recommendations for rehabilitation with older adults living with HIV: a knowledge synthesis (en anglais seulement)

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