Souhaitez-vous recevoir nos publications directement dans votre boîte de réception?

CATIE

La kétamine est un médicament utilisé comme anesthésique dans les services d'urgence des hôpitaux ainsi que par les vétérinaires. Elle peut provoquer des hallucinations, donner lieu à des sentiments d'euphorie et à des sensations de flotter, d'être dans un état proche du rêve, à des expériences extracorporelles et autres. C'est ce qui explique pourquoi on l'utilise comme drogue de club et drogue festive (drogue de party). Dans un tel contexte, la kétamine a acquis le surnom de « Spécial K ». Selon la dose et la manière dont elle est prise, la kétamine peut avoir un début d'action relativement rapide qui se manifeste en 1 à 30 minutes après l'ingestion. Les effets de la kétamine peuvent durer jusqu'à trois heures.

La kétamine peut également provoquer la paranoïa, de la confusion, des étourdissements et le sentiment d'être déconnecté de son corps. Certains de ces effets peuvent être responsables des accidents et des blessures subséquentes signalés parmi les usagers de la kétamine.

L'exposition à la kétamine peut donner lieu à une dépendance, car les utilisateurs cherchent à répéter leur première expérience avec la drogue. Cela peut conduire à une utilisation plus fréquente et à la consommation de doses plus importantes avec le temps. On a fait état d'un nombre croissant de cas de toxicité à la kétamine lorsque celle-ci est utilisée à des fins récréatives. Cette toxicité qui touche la vessie provoque de la douleur et de la difficulté à uriner, des mictions fréquentes, des infections, la présence de sang dans les urines et l'incontinence urinaire. Des lésions rénales attribuables à la kétamine ont également été signalées.

Selon des comptes rendus provenant du Royaume-Uni, l'utilisation de la kétamine comme une drogue de fête serait à la hausse. Comme les réseaux de consommateurs de drogues sont connectés, les tendances observées au Royaume-Uni peuvent également se produire au Canada comme dans les autres pays à revenu élevé.

Des médecins de Brighton, au Royaume-Uni, ont rendu compte de deux cas de lésions du foie et des canaux biliaires qui ont été liés à l'utilisation de la kétamine. Dans les deux cas, les hommes en cause étaient séropositifs, et leur traitement du VIH pourrait avoir influé sur la concentration de la kétamine présente dans leur corps.

Cas 1

Dans le premier cas, il s'agissait d'un homme de 38 ans qui présentait, d'après la description que les médecins en ont faite « des antécédents d'une infection par le VIH bien contrôlée acquise neuf ans auparavant ». Son compte de CD4+ se situait aux alentours de 800 cellules et sa charge virale était demeurée inférieure à 40 copies/ml tout au long de ces années. Sa médication anti-VIH était la suivante :

  • abacavir + lamivudine (combinaison à dosage fixe appelée Kivexa)
  • darunavir (Prezista) + ritonavir (Norvir)

Il prenait aussi ces autres médicaments :

  • salbutamol contre l'asthme
  • périndopril pour le traitement de l'hypertension

Il a cherché à obtenir des soins médicaux en raison de l'apparition des symptômes suivants :

  • nausées
  • vomissements
  • douleur abdominale chronique

Il a mentionné aux médecins qu'il avait eu des épisodes de ces symptômes à quatre reprises au cours des douze mois précédents.

Sa consommation d'alcool était modeste et il n'avait fait ni l’usage ni l’injection d'autres substances.

La kétamine

L'homme a révélé qu'il avait commencé à prendre la kétamine à raison de doses relativement faibles deux ans auparavant. Cependant, au cours de la dernière année, il avait augmenté, de son propre gré, sa consommation de 1 à 2 grammes par jour, avait-il indiqué, pour l'aider à composer avec la douleur abdominale qu'il éprouvait.

Analyses de laboratoire et autres tests

Des analyses de son sang ont révélé un taux élevé des enzymes hépatiques suivants :

  • ALAT (alanine aminotransférase) – trois fois la limite supérieure de la normale
  • PA (phosphatase alcaline) – presque deux fois la limite supérieure de la normale

Après avoir effectué les tests de dépistage de l'hépatite virale et d’autres affections hépatiques auto-immunes ou héréditaires, les techniciens n'ont trouvé aucune particularité.

Bien que les examens exploratoires par imagerie par résonance magnétiques (IRM) de son abdomen n'aient révélé aucune tumeur, ceux-ci ont mis en évidence une inflammation manifeste du canal cholédoque. Les médecins ont alors procédé à l'insertion d'une petite sonde munie d'une caméra dans le but d'évaluer l'état de son tube digestif, mais cet examen n'a fait ressortir aucune lésion ni la présence de calculs biliaires. Cependant, comme ils ont remarqué que le tissu musculaire (sphincter) régissant l'ouverture et la fermeture de son canal cholédoque était enflé, ils lui ont retiré ce sphincter.

Arrêt de la kétamine

Après cette opération, les médecins lui ont conseillé de renoncer à l'usage de la kétamine. C'est ce qu'il a fait et, dans les quatre semaines qui ont suivi, ses symptômes ont disparu et ses tests de laboratoire sont revenus à la normale. Les examens exploratoires ont été répétés sur une période de 18 mois suivant son abandon de la kétamine et aucun d'entre eux n'a révélé le retour du moindre symptôme ou la présence d'une quelconque anomalie au niveau de son tube digestif.

Cas 2

Un autre homme séropositif, celui-ci âgé de 25 ans, a cherché à obtenir des soins médicaux à trois reprises au cours de huit semaines à cause de douleurs abdominales récurrentes et de nausées. Séropositif depuis trois ans, il avait un compte CD4+ de 154 cellules et une charge virale de 6 356 copies/ml. Ces résultats ont été observés malgré le traitement du VIH suivant qui lui avait été prescrit :

  • ténofovir + FTC (une combinaison à dosage fixe appelée Truvada)
  • lopinavir-ritonavir (Kaletra)
  • Bactrim/Septra (triméthoprime/sulfaméthoxazole)

Les médecins avaient fait état de la « piètre » capacité de cet homme à prendre ses médicaments en suivant à la lettre les directives reçues. À l'examen de ses dossiers médicaux, ils ont remarqué qu'il avait divulgué trois ans auparavant « faire l'utilisation occasionnelle de la kétamine ». Cependant, l'année précédente, il avait mentionné à ses médecins qu'il avait augmenté sa consommation à raison de 1 à 2 grammes pris deux ou trois fois par semaine. Il ne faisait pas usage de la kétamine sous forme injectable et il n'utilisait aucune des drogues de la rue. Sa consommation d'alcool, toutefois, était très forte.

Les analyses de laboratoire de son sang ont révélé des taux élevés des enzymes hépatiques suivants :

  • ALT – 10 fois la limite supérieure de la normale
  • ALP – trois fois la limite supérieure de la normale
  • GGT (gamma-glutamyl transférase) – 15 fois la limite supérieure de la normale

Selon ces résultats et sa consommation d'alcool divulguée, les médecins lui ont conseillé de réduire sa consommation d'alcool.

Il a suivi leur conseil, mais ses symptômes ont persisté. De plus, il éprouvait également des infections bactériennes récurrentes (causées par E. coli) au niveau de ses voies urinaires.

Comme dans le premier cas, les examens exploratoires n'ont révélé aucune hépatite virale, ni maladie auto-immune ou héréditaire du foie.

L'analyse de ses urines a révélé la présence de sang et de kétamine.

Examens exploratoires et procédures

Les examens exploratoires effectués par échographie et par IRM de l'abdomen de l'homme en question ont révélé une enflure au niveau du canal cholédoque. Une inspection visuelle de son tube digestif ainsi que de son foie et de sa vésicule biliaire n'a mis en évidence aucune tumeur, ni aucun calcul biliaire, ni aucune autre cause classique à l'origine de ses problèmes. Les médecins ont fait l'ablation du sphincter situé au bout du canal cholédoque. Une biopsie du foie a révélé l'absence de tissu cicatriciel et de lésion des tissus hépatiques dus à l'alcool.

Les médecins ont modifié son traitement anti-VIH en optant pour la combinaison suivante :

  • Truvada + darunavir-ritonavir (tous ces médicaments à prendre une fois par jour pour favoriser son observance)

Un mois après les examens exploratoires et les analyses effectués initialement, l'homme en question est revenu obtenir des soins médicaux à cause des douleurs abdominales. Les médecins lui ont alors conseillé d'arrêter l'usage de la kétamine. Deux mois suivant l'arrêt de la kétamine, ses douleurs et ses hauts taux d'enzymes hépatiques sont rentrés dans l'ordre. Les analyses sanguines et les examens par IMR réalisés subséquemment n'ont détecté aucune anomalie.

Digne de mention

Après compilation de toutes les données recueillies lors des entretiens et après un examen approfondi des données entourant les périodes d'utilisation de la kétamine et de l'apparition des symptômes, les médecins ont remarqué la présence d'un lien entre « l'usage régulier de la kétamine » et la survenue de douleurs abdominales.

D'autres médecins ont fait état de lésions du foie et d'enflure du canal cholédoque observées chez des patients séronégatifs à l'endroit du VIH qui avaient fait usage de la kétamine à des fins récréatives. Dans de pareils cas, les symptômes abdominaux ont pris en moyenne quatre ans avant de se manifester.

Toutefois, dans le cas des deux hommes séropositifs faisant l'utilisation régulière de la kétamine, il n'aura fallu qu'un an pour que leurs symptômes se manifestent.

Il se peut que la prise de ritonavir soit responsable de l'apparition plus rapide des symptômes chez les hommes séropositifs. En effet, ce médicament est susceptible de ralentir l'activité des enzymes hépatiques qui traitent (métabolisent) et dégradent les médicaments et d'autres substances connus. Cette propriété du ritonavir est utile et les médecins la mettent à contribution, étant donné qu'une faible dose de ritonavir est souvent prescrite avec un autre inhibiteur de la protéase du VIH dans les combinaisons d'utilisation courante actuellement au Canada comme dans les autres pays à revenu élevé, telles les suivantes :

  • atazanavir (Reyataz) + ritonavir
  • darunavir + ritonavir
  • lopinavir + ritonavir

L'effet du ritonavir dans pareils cas consiste à augmenter (stimuler) et à maintenir la concentration de l'autre inhibiteur de la protéase dans le sang. L'utilisation du ritonavir de cette manière permet souvent l'administration d'une dose quotidienne unique des inhibiteurs de protéase.

Les médecins de Brighton semblent penser que le ritonavir est susceptible d'avoir provoqué une élévation du taux de la kétamine dans le sang de leurs patients séropositifs, ce qui serait à l'origine de la survenue plus rapide des effets toxiques chez ces derniers comparativement à ce qui a été observé chez les personnes séronégatives. L'augmentation du taux des enzymes hépatiques détectées dans les analyses de sang a pu se produire en raison de la faculté de la kétamine à causer des lésions du foie.

La gestion du sevrage

Les deux hommes dont il est question dans ce rapport étaient apparemment aptes à surmonter, sans difficulté et assez rapidement, leur dépendance à la kétamine. Cependant, il se peut que d'autres personnes faisant usage de la kétamine depuis longue date aient besoin d'aide telle que : prescription temporaire de médicaments pour soulager la douleur au niveau de la vessie et d'autres organes; diminution progressive des doses de médicaments contre l'anxiété (dits anxiolytiques) pour surmonter le période de sevrage de la kétamine; conseils pour se libérer de sa dépendance et contribuer à favoriser le soutien mental et la guérison émotionnelle.

La prudence est de rigueur

Beaucoup de médicaments prescrits dans le cadre du traitement du VIH, y compris sans s'y limiter les inhibiteurs de la protéase et les analogues non nucléosidiques (INTI), ainsi que de nombreux autres médicaments livrés sur ordonnance ou disponibles en vente libre ont le potentiel d'influer sur la concentration des autres médicaments présents dans le corps en exerçant des effets sur l'activité des enzymes du foie. Ce phénomène porte le nom d’interaction médicamenteuse, et il est particulièrement pertinent dans le cas des drogues de la rue.

Depuis l'arrivée des puissants traitements du VIH (couramment appelés trithérapie ou multithérapie antirétrovirale) à la fin des années 1990, les médecins ont documenté des cas de toxicité graves, parfois mortels, causés par des substances qui entrent en interaction avec le ritonavir et possiblement aussi d'autres inhibiteurs de protéase.

En veillant à créer une relation de confiance avec leur équipe de soins de santé, les patients séropositifs doivent, autant que possible, divulguer tous les médicaments qu'ils prennent, tant les médicaments sur ordonnance que ceux en vente libre (y compris les drogues de clubs et de la rue), ainsi que des suppléments et les produits de plantes médicinales, de sorte que leurs médecins et pharmaciens ainsi que le personnel infirmier puissent les conseiller sur les interactions potentielles et les moyens de rester en bonne santé.

« Spécial M »

D'autres chercheurs au Royaume-Uni ont fait état de l'arrivée d'une drogue de la rue, apparentée à la kétamine et appelée MXE (méthoxétamine) ou « Spécial M » par ses utilisateurs. Cette nouvelle drogue a des effets semblables à ceux de la kétamine, mais la méthoxétamine prend plus de temps à exercer ses effets suivant son inhalation ou son ingestion. Le risque existe donc que certains utilisateurs soient vulnérables à des problèmes de surdosage. Selon certaines hypothèses entourant la MXE, cet analogue de la kétamine aurait des propriétés dites « conviviales dans le cas de la vessie (bladder friendly)». Cependant, les chercheurs au Royaume-Uni qui poursuivent la recherche dans le domaine de l'utilisation des drogues préviennent qu'il est trop tôt pour être certain des effets de la MXE sur les voies urinaires. Comme la MXE n'a pas été officiellement évaluée, sa sécurité d'emploi au niveau du cerveau et d'autres parties du corps demeure inconnue.

                                                                                                                                                                —Sean R. Hosein

RÉFÉRENCES :

  1. Kirby T, Thornber-Dunwell M. High-risk drug practices tighten grip on London gay scene. Lancet 2013;381:101-102.
  2. Zhou J, Shaw SG, Gilleece Y. Dilated common bile duct and deranged liver function tests associated with ketamine use in two HIV-positive MSM. International Journal of STD and AIDS. 2013; in press.
  3. Winstock AR, Mitcheson L. New recreational drugs and the primary care approach to patients who use them. BMJ. 2012 Feb 15;344:e288.
  4. Middela S, Pearce I. Ketamine-induced vesicopathy: a literature review. International Journal of Clinical Practice. 2011 Jan;65(1):27-30.
  5. Mason K, Cottrell AM, Corrigan AG, et al. Ketamine-associated lower urinary tract destruction: a new radiological challenge. Clinical Radiology. 2010 Oct;65(10):795-800.
  6. Turkish A, Luo JJ, Lefkowitch JH. Ketamine abuse, biliary tract disease and secondary sclerosing cholangitis. Hepatology. 2013; in press.
  7. Henry JA, Hill IR. Fatal interaction between ritonavir and MDMA. Lancet. 1998 Nov 28;352(9142):1751-2.
  8. Harrington RD, Woodward JA, Hooton TM, et al. Life-threatening interactions between HIV-1 protease inhibitors and the illicit drugs MDMA and gamma-hydroxybutyrate. Archives of Internal Medicine. 1999 Oct 11;159(18):2221-4.
  9. Antoniou T, Tseng AL. Interactions between recreational drugs and antiretroviral agents. Annals of Pharmacotherapy. 2002 Oct;36(10):1598-613.
  10. Corazza O, Assi S, Schifano F. From "Special K" to "Special M": the evolution of the recreational use of ketamine and methoxetamine. CNS Neuroscience & Therapeutics. 2013 Jun;19(6):454-60.