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CATIE

L'observance thérapeutique — le fait de prendre tous ses médicaments en suivant les prescriptions à la lettre — est indispensable au succès de toute médication et de tout traitement contre une maladie, particulièrement les infections. Pour réussir à améliorer la santé de façon durable, les combinaisons de médicaments anti-VIH puissants (couramment appelées multithérapies ou TAR) exigent un taux d'observance très élevé, soit un minimum de 95 %. De nombreux facteurs peuvent influencer l'observance thérapeutique chez les personnes atteintes du VIH et d'autres affections, dont les effets secondaires des médicaments, la dépression et les priorités conflictuelles comme la consommation d'alcool ou de drogues.

Les problèmes d'argent sont reconnus comme une barrière susceptible de compromettre l'observance de la multithérapie; cela est certainement le cas dans les pays à faible et à moyen revenu. En revanche, dans les pays à revenu élevé comme le Canada, l'Australie, les États-Unis et les nations de l'Europe occidentale, le coût du traitement du VIH est largement subventionné par les gouvernements. Ainsi, le coût des soins et du traitement ne devrait pas compromettre l'observance, car de nombreux pays à revenu élevé sont dotés d'un système de santé universel qui est accessible à tous les citoyens et résidents permanents.

Dans les pays à revenu élevé, une forte proportion de personnes séropositives reçoivent des prestations d'invalidité parce qu'elles ne sont pas en mesure de travailler (ces personnes disposent donc d'un revenu faible). Il est probable que ces personnes connaissent des ennuis financiers, mais l'impact éventuel de ces problèmes sur l'observance du traitement du VIH n'avait été exploré en détail que récemment. 

En Australie, la principale clinique vouée au VIH, aux troubles immunitaires et aux maladies infectieuses se trouve dans le St. Vincent’s Hospital à Sydney. C'est dans cet établissement que les chercheurs suivent l'évolution de l'épidémie du VIH en Australie. Récemment, l'équipe de la clinique s'est rendu compte que 3 % des patients séropositifs du pays semblaient avoir abandonné leurs soins au cours des dernières années. Motivée par cette constatation et les histoires de stress financier que leurs patients lui relataient, une équipe de recherche de l'hôpital a lancé une étude pour explorer la question du stress financier et de l'observance dans le cadre d'un sondage d'envergure sur la santé et les soins.

L'équipe de Sydney a constaté qu'un pourcentage considérable de patients éprouvaient des problèmes financiers et reportaient l'achat de médicaments. De plus, certains patients ont dévoilé qu'ils avaient arrêté de prendre et/ou d'acheter leurs médicaments à cause de leur stress financier. D'autres encore ont affirmé que le coût du transport pour aller à la clinique VIH constituait une barrière financière. Les chercheurs ont également découvert que le coût du transport avait poussé certains patients à interrompre leur multithérapie, une décision lourde de conséquences sérieuses pour leur santé.

Le coût des soins soulève des préoccupations dans plusieurs pays, non seulement chez les particuliers mais aussi à l'échelle régionale et nationale. Déjà en Europe occidentale, une région largement touchée par une récession, on propose de réduire davantage le coût du traitement, notamment par la simplification des régimes anti-VIH. Les propositions de ce genre seront peut-être discutées à plus grande échelle à l'avenir si la crise économique et financière se poursuit.

Détails de l'étude

Les chercheurs ont invité les patients de la clinique à remplir un sondage anonyme sur des questions liées aux soins et au traitement, dont le stress financier. Un total de 500 personnes ont participé. Même si les données se rapportant au profil des participants sont limitées, nous en savons ce qui suit :

  • 96 % d'hommes, 4 % de femmes
  • moyenne d'âge – 52 ans
  • 67 % étaient séropositifs
  • 10 % n'avaient qu'une hépatite virale
  • 23 % avaient un trouble immunologique ou autre maladie infectieuse
  • la plupart (76 %) fréquentait la clinique tous les trois à six mois

Résultats – accent sur les patients séropositifs

Parmi les 335 patients séropositifs, on signalait des problèmes à payer les frais d'exécution d'ordonnances dans la proportion suivante :

  • 20 % (65 participants) affirmaient qu'il était difficile ou très difficile de payer les frais

Les participants ont admis que le coût du transport pour se rendre à la clinique avait eu les impacts suivants :

  • 14 % avaient retardé l'achat de médicaments prescrits
  • 9 % avaient arrêté de prendre leurs médicaments

Sur les 65 participants qui éprouvaient de la difficulté à payer les frais de pharmacie, près de 30 % avaient cessé de prendre leurs médicaments. En revanche, parmi les 270 autres patients séropositifs qui disaient ne pas éprouver de stress financier, seulement 4 % ont dévoilé avoir arrêté de prendre leurs médicaments (pour des raisons inconnues). Cette différence entre les taux d'abandon du traitement était significative sur le plan statistique.

Parlons argent

Lors des visites des patients à la clinique, les médecins les interrogeaient souvent au sujet de leur santé et de leurs médicaments. Par exemple, 60 % des participants disaient s'être fait poser toujours ou fréquemment des questions concernant les effets secondaires de leurs médicaments. Seulement 5 % d'entre eux s'étaient fait demander s'ils avaient de la difficulté à payer ceux-ci.

Limitations

Il s'agit ici d'une étude transversale. Cela s'apparente à une photo captée à un moment précis dans le temps. Les études transversales coûtent moins cher, durent moins longtemps et sont plus faciles à mener que d'autres genres d'études (comme celles qui durent de nombreuses années). Les études transversales ne peuvent donner de réponses définitives aux questions de recherche, mais il est possible d'explorer davantage leurs résultats dans le cadre d'études conçues de manière plus complexe (et coûteuse).

Une autre limitation de cette étude tient au fait que la vaste majorité des participants étaient des hommes. Comme les femmes « gagnent généralement moins d'argent que les hommes », il est probable qu'elles auraient éprouvé un stress financier plus important, ont fait valoir les chercheurs.

Malgré ces limitations, cette étude australienne est très importante et aura un impact majeur sur les études futures concernant l'observance thérapeutique dans les pays à revenu élevé.

Argent et accès

Le concept de coassurance, comme les frais d'exécution d'ordonnances, n'est pas unique à l'Australie. Au Canada, certaines pharmacies renoncent à ce genre de paiement, et certains régimes d'assurance-maladie provinciaux et territoriaux et assureurs privés couvrent une partie ou la totalité des frais de pharmacie. De plus, le coût des médicaments utilisés pour le traitement des maladies catastrophiques comme le VIH et l'infection au virus de l'hépatite C (VHC) est généralement pris en charge par les provinces et territoires canadiens, bien que la couverture de certains médicaments particuliers soit sujette à des restrictions qui varient d'une province ou d’un territoire à l'autre.

Lors d'un sondage réalisé en 2007 auprès de 5 723 Canadiens, 10 % des participants disaient avoir échoué à suivre fidèlement leur traitement médicamenteux à cause du coût. Les personnes les plus susceptibles de faire preuve de ce genre de non-observance liée au coût avaient le profil suivant :

  • mauvais état de santé
  • faible revenu
  • aucune assurance-médicaments

Enjeux liés au virus de l'hépatite C

En 2008, des chercheurs à Halifax, en Nouvelle-Écosse, ont interviewé 50 personnes atteintes de l'infection au VHC. L'équipe a constaté que les participants prenaient une gamme de médicaments sur ordonnance pour le traitement de plusieurs affections, dont les suivantes :

  • problèmes de santé mentale, particulièrement l'anxiété et la dépression
  • tension artérielle supérieure à la normale
  • inflammation

Près de 60 % des participants se disaient préoccupés par le stress financier et leur capacité de payer leurs médicaments sur ordonnance. Les participants avaient élaboré une variété de stratégies pour se débrouiller, comme emprunter de l'argent, retarder l'achat des médicaments et demander à leur professionnel de la santé de substituer un médicament moins cher à un produit onéreux. Certains participants se sentaient mal à l'aise d'aborder la question des coûts avec leur médecin et préféraient tenir ce genre de discussions avec leur pharmacien.

De nombreux participants achetaient aussi des suppléments et des remèdes complémentaires, ce qui augmentait leur stress financier.

Coût et observance parmi les personnes séronégatives

Lors d'une récente étude américaine menée auprès de personnes séronégatives n'ayant pas de problème de santé mentale grave et n'utilisant pas de drogues, on a constaté que l'observance des médications prescrites pour des affections chroniques comme les maladies cardiovasculaires et le diabète était influencée par les dépenses personnelles engagées par les patients. Lors de la même étude, les chercheurs ont trouvé des « données probantes indiquant que la réduction des dépenses personnelles améliorait l'observance de la médication dans toutes les catégories cliniques ».

Changements de thérapie – expérience de Londres

Le Royaume-Uni est aux prises avec une récession grave depuis plusieurs années. À cause des coûts grimpants des soins de santé et des compressions budgétaires générales, les dépenses en santé sont mises à rude épreuve en ce moment. En 2010, le coût de la multithérapie pour les 30 000 personnes séropositives vivant à Londres s'élevait à quelque 170 millions de livres sterlings (267 millions de dollars). Comme on recense environ 1 800 nouvelles infections par le VIH chaque année, ces coûts vont grimper. Soucieux de régler ce problème, les commissaires à la santé du niveau local (qui veillent aux dépenses en soins de santé) ont réuni les intervenants clés, dont nombre de cliniciens et de défenseurs des patients, pour créer un sous-groupe chargé de réduire le coût de la multithérapie. Le plan d'action adopté par le sous-groupe devait se conformer aux lignes directrices sur le traitement du VIH, et les résultats ne devaient pas avoir d'impact négatif sur la santé des patients. Le sous-groupe s'est laissé orienter par les principes fondamentaux suivants :

« La liberté de chaque clinicien de prescrire le médicament le plus approprié pour le patient et la pleine participation de la personne vivant avec le VIH au processus de prise de décisions [ont été] confirmées comme [principes fondamentaux]. »

Le sous-groupe a créé une équipe multidisciplinaire se composant de médecins, de commissaires de la santé, de pharmaciens, d'intervenants de la santé publique et de défenseurs des droits des patients pour entamer des discussions avec les sociétés pharmaceutiques. L'équipe a invité les pharmaceutiques à présenter des soumissions dans le but de fournir des antirétroviraux à prix réduit. La soumission gagnante a eu pour résultat d'amener les médecins et les patients à envisager l'utilisation des médicaments suivants lors d'une première multithérapie :

  • analogues nucléosidiques : Kivexa – formulation à dosages fixes d'abacavir + 3TC
  • inhibiteurs de la protéase : atazanavir (Reyataz) + ritonavir (Norvir)

Les médicaments seront fournis à prix réduit pendant deux ans. Durant cette période, les dépenses seront vérifiées pour évaluer les économies qui devraient s'élever à entre 8 et 10 millions de livres sterling (entre 13 et 16 millions de dollars) selon les prévisions. Des évaluations de la santé des patients séropositifs seront également effectuées pour assurer que la qualité des soins se maintient.

D'autres idées pour réduire les coûts

Au Royaume-Uni, un groupe de chercheurs a publié un document suggérant des moyens de réduire encore davantage le coût du traitement du VIH. Le document propose deux thèmes de portée large, que voici :

  • substituer un générique une fois expiré le brevet sur le médicament de marque déposée
  • simplifier le traitement en réduisant le nombre de médicaments dans un régime; on recommande spécifiquement de privilégier une combinaison de ritonavir et d'un autre inhibiteur de la protéase appelé darunavir (Prezista); on appelle ce genre de combinaison largement simplifiée une monothérapie par inhibiteur de la protéase

La plupart des essais sur la monothérapie par inhibiteur de la protéase ayant recours au ritonavir-lopinavir (dans le Kaletra) ou au darunavir-ritonavir ont recruté des participants soigneusement sélectionnés qui n'avaient pas d'antécédent d'échec virologique ou très peu. De plus, les participants à ce genre d'essai sont habituellement très motivés et font preuve d'un taux d'observance élevé. Tout cela pour dire que la simplification du traitement en faveur d'une monothérapie par inhibiteur de la protéase ne conviendra pas à tous les patients séropositifs. 

De façon générale, les monothérapies par inhibiteur de la protéase ne sont pas aussi efficaces que les combinaisons antirétrovirales les plus recommandées à l'heure actuelle.

Une autre préoccupation liée à la simplification du traitement du VIH se rapporte à la santé du système nerveux central (SNC), c'est-à-dire le cerveau et la moelle épinière. Rappelons que des cellules immunitaires infectées par le VIH résident dans le SNC. Comme certains médicaments anti-VIH ont de la difficulté à pénétrer dans le SNC, la simplification de la thérapie soulève des préoccupations concernant l'éventuelle suppression insuffisante du VIH dans le SNC. La prudence est donc indiquée lorsqu'on envisage d'utiliser un tel régime, surtout en ce qui concerne son impact à long terme sur la santé neurocognitive. C'est peut-être pour ces raisons et d'autres que la monothérapie par inhibiteur de la protéase n'est pas généralement recommandée dans les principales lignes directrices sur le traitement du VIH. Dans un prochain bulletin de Nouvelles-CATIE, nous explorerons des rapports récents selon lesquels on aurait détecté des lésions des cellules cérébrales chez certaines personnes séropositives recevant une monothérapie par inhibiteur de la protéase.

Spectre de l'avenir

Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une période de faible croissance économique à court et à moyen terme pour de nombreux pays à revenu élevé. Par conséquent, le stress financier pourrait devenir une préoccupation plus importante, tant pour les individus que pour les institutions. Les chercheurs qui tentent d'évaluer l'observance du traitement du VIH et du VHC devront tenir compte du stress financier lors des études futures, surtout celles menées dans les pays à revenu élevé. Quant aux institutions, celles qui subventionnent le traitement du VIH (et d'autres maladies) continueront de chercher des moyens de réduire les coûts. Il faudra peut-être aussi que les médecins et pharmaciens doivent tenir compte du stress financier lorsqu'ils prescriront des médicaments.

—Sean R. Hosein

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